Bonjour à tous,
Je vous livre un petit témoignage qui date d'une vingtaine d'années mais qui est toujours parfaitement clair dans ma mémoire, le temps n'en ayant pas altéré le souvenir. Et pour cause...
Native de Paris, je venais depuis peu de rejoindre mes parents ayant emménagé dans un petit village de montagne afin d'y couler une retraite paisible. La ville la plus proche est à une vingtaine de kilomètres et la route qui y mène est une pure route de montagne, très étroite et sinueuse, creusée entre une paroi à pic et un précipice au fond duquel coule une rivière tumultueuse. Voilà pour planter le décor.
Par une nuit claire, aux environs de 23h, je remonte au village après ma journée de travail. Je précise que je n'avais rien consommé pouvant altérer mes sensations, alcool, drogues, ou médocs. Alors que j'entame la partie la plus délicate du trajet, route étroite faite de virages serrés qui se suivent, mon regard tombe, au sortir de l'un d'eux, sur deux silhouettes marchant au bord de la route, coté rivière. J'ai une "vue de pilote de chasse" dixit mon toubib, ainsi qu'une excellente mémoire visuelle. Et en quelques secondes, l'image s'imprime dans mon cerveau. C'est une femme en tailleur, coiffé d'un chignon et portant un sac à main. Près d'elle, un petit garçon, en culottes courtes, avec sur le dos un cartable en cuir. Je les ai bien vus, distinctement, éclairés par les phares. Comme je verrais n'importe quel être humain marchant au bord d'une route.
Pressée de rentrer, je roulai à bonne allure, un peu trop vite peut-être. Ainsi lancée, je n'ai pas le réflexe immédiat de piler et le temps que mon cerveau percute, que les réactions s'enchaînent, j'ai déjà passé le virage et bien entendu, je ne peux plus les voir dans mon rétro. En quelques secondes, on a le temps de faire du chemin.
Que font-ils là, sur la route déserte à cette heure ? Bizarre, je n'ai vu aucune voiture en panne durant la montée... Et puis quel drôle de look... Oui, je me souviens parfaitement avoir eu cette pensée... Je freine pour casser mon élan. Ne voulant pas laisser une femme et un gamin en carafe la nuit au bord de cette voie dangereuse, je décide de faire demi tour. Mais faire demi tour à cet endroit est difficile. C'est une manoeuvre risquée à cause de l'étroitesse de la chaussée bordée du précipice, des virages en lacets et de la vitesse avec laquelle roulent certains habitants du cru. Je trouve enfin un endroit propice à la manoeuvre, et je redescend, persuadée de retrouver mes deux "promeneurs"...
Et là RIEN ! Personne... Je roule, modérant ma vitesse, les yeux bloqués sur le bord de la route. Mais ils ont disparu. Evaporés ! Doutant alors de l'endroit précis, je redescend presque toute la route, je fais demi-tour et je remonte. Mais toujours personne. Interloquée, je vais effectuer encore deux aller-retours, et finalement m'arrêter là où je les ai vus, descendre de voiture, jeter un oeil dans le précipice. La rivière gronde en bas. Je ne vois rien, rien d'autre que les remous écumants de l'eau. Il n'existe aucun chemin perpendiculaire, aucune voie parallèle sur laquelle ils auraient pu s'engager et disparaitre. Juste cette route étroite, sinueuse et désespérément vide, entre une paroi à pic et une gorge profonde. Alors je remonte dans ma voiture et je rentre, un peu déstabilisée par cette "aventure".
Je n'en parle à personne, les jours passent, les semaines, je continue à parcourir cette route quotidiennement et je ne peux m'empêcher d'observer le bas-côté en pensant à mes deux piétons au look rétro. Je parcoure chaque jour les nouvelles du journal local. On ne sait jamais.
Car leur apparence m'est apparue ainsi : rétro... Leurs vêtements, leur apparence, ce cartable en cuir tel que les écoliers arboraient autrefois, ces culottes courtes qui n'ont rien à voir avec les bermudas des gamins actuels. Ce tailleur qui ressemble à ceux que ma mère portait dans sa jeunesse. Et puis ils sont peu couverts pour la saison... Tout celà me parait extrêmement étrange et bien que cette vision n'ait duré que quelques secondes, elle est restée bien imprimée dans mon cerveau. Et elle l'est toujours.
En rentrant un après-midi, je tombe sur ma mère qui boit le thé avec une vieille dame de ses amies, native de ce village dont elle est la mémoire vivante. Je saute alors sur l'occasion. Sans révéler ma drôle d'aventure, je pose la question : N'y aurait-il pas eu un accident sur cette portion de route, il y a 30 ou 40 ans, dans lequel aurait péri une femme et un petit garçon ? La vieille dame réfléchit un instant... Certes, des accidents sur cette route, il y en a eu moult, et il y en a toujours malgré les travaux réguliers de sécurisation. Elle semble fouiller dans ses souvenirs, remonter le temps mais la réponse arrive rapidement. Oui ! La fille X et son fils. Elle vivait en ville et montait rendre une visite à des membres de sa famille quand sa voiture a raté le virage et est tombée dans la D.... C'était en 59 croit-elle. Ils sont morts tous les deux. Elle évoque un peu la famille victime de ce drame. J'écoute distraitement, un peu émue à l'idée que j'ai peut-être été en présence d'une manifestation surnaturelle. Mais au fait, pourquoi cette question ? J'élude et je change de sujet.
Cette apparition fut-elle un avertissement ? Voulaient-ils m'inciter à freiner avant le virage qui leur avait été mortel ? Les sceptiques nieront ou riront. Moi, je ne sais pas. Mais je ne peux renier la vision de cette femme et d'un jeune garçon qui marchaient au bord de la route, vêtus d'une façon rétro. Après avoir analysé et réfléchi, absolument rien n'aurait pu inciter mon imagination à créer cette vision.
Grâce à un employé de mairie, j'ai retrouvé trace du décès mais au cimetière, la concession de trente ans était arrivée à terme et la tombe, n'existait plus. C'était en 61 et non pas en 59, la femme avait 35 ans et le petit garçon 11.
Il m'arrive encore de prendre cette route, et je ne peux m'empêcher de ralentir et chercher du regard. En vain.
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"Et quand il eut passé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre." Nosferatu de Friedrich Wilhelm Murnau - 1922
"Denn die Todten reiten schnell" Lenore de Burger - Dracula de Bram Stoker - 1897
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