machtiern a écrit:
Et je parle de la Gwerz Skolvan,
Skolvan, pas de iannig dedans.
Je ne connaissais pas ce gwerz. Cela dit, tu noteras qu'il présente des éléments très similaires à l'une des gwerz inspirée de l'affaire Skolan (
Truez en Ene) : l'âme du fils défunt qui vient demander le pardon à sa mère, les crimes commis (viol, destruction d'une église), le petit livre tombé dans l'océan parmi les poissons...
Alors... Coïncidence ? Preuve d'une inspiration commune, issue de la tradition orale populaire ?
machtiern a écrit:
C'est bien là la question, comment la tradition orale a pu transmettre, et conserver des histoires remontant à plusieurs années? la vision "mémé raconte à sa petite fille qui brode par dessus" est obsolète, suite aux travaux de D. Laurent et Fanch Postic.
Ce n'est pas la vision des choses que j'ai.
Comme je l'ai expliqué ci-dessus, il s'agissait d'une méthode efficace pour transmettre les informations entre régions voisines, à une époque où la majorité de la population bougeait assez peu - en dehors de certains corps de métier - et où les gens étaient majoritairement illettrés (mais pas stupides pour autant). Elle n'est pas propre à la Bretagne, d'ailleurs, on la retrouve ailleurs en France même si elle y était pratiquée sous des formes différentes et de façon moins systématique.
Je pense qu'il ne faut tomber dans aucun extrême : ni celui du folklorisme (l'image d'Epinal de la "mémé qui raconte à sa petite fille qui brode par dessus"), ni celui qui consisterait à penser que les chants bretons seraient transmis soigneusement et sans déformation sur plusieurs siècles par la tradition orale.
Surtout que les gwerzioù sont des chants populaires et informels, pas des chants sacrés... Chacun est libre d'y ajouter ou de les modifier selon son bon plaisir, et les anciens ne s'en privaient pas.
machtiern a écrit:
Skolvan en est l'exemple, mais on pourrait aussi parler des rannou ou de la danse du glaive qui ont sont sortis de l'imagination féconde de mémé Fine
[...]
Ar rannou (composée au XIXeme siècle, vu que collectée au XIXeme):
http://www.rassat.com/textes7/Ar_Rannou.htmlGwinn ar gallaoued (idem)
http://www.bretagnenet.com/strobinet/barzaz/gwini2.htmlTon idée, ce serait que la base de ces chants proviendrait de l'époque gallo-romaine, c'est bien cela ?
Je crois qu'il faut bien garder 2 - 3 petites choses à l'esprit :
- la première est que ces chants ont été collectés par des folkloristes du XIXème siècle, qui étaient en plein dans la mode du celtisme romantique : ils cherchaient à glorifier l'âme éternelle de la Bretagne et la faire renouer avec des racines mythiques complètement imaginaires... Ces auteurs n'ont pas hésité à modifier les paroles des chansons pour servir leur thèse - voire à les inventer de toute pièce pour certains.
Par exemple De La Villemarqué - l'auteur du Barzaz Breizh - était à fond dans ce mouvement et on sait qu'il a bidouillé certains textes pour les relier à la légende arthurienne (qui était pourtant quasiment inconnue des bretons de la campagne d'alors) ou à un glorieux passé celte. Tu peux être certain que les chansons faisant allusion à Merlin, au roi Arthur, ou aux allusions à la civilisation celtique ne sont pas authentiques... c'est même assez évident pour certaines (je pense notamment à celles ressortant les vieilles images d'Epinal, style "les druides et la cueillette du gui à la serpe d'or").
D'ailleurs, tu noteras que ces critiques ne sont pas récentes : dès le XIXème siècle, certains auteurs (comme Anatole le Braz) reprocheront à Villemarqué sa liberté d'interprétation et de transcription de ses sources...
Cela dit, il faut quand même reconnaître à Hersart de la Villemarqué que certaines de ses chansons sont vraiment très réussies -
Marzhin en e Gavel ("Merlin au berceau") est probablement l'une des plus belles berceuses bretonnes...
- un autre exemple de ce parti-pris se trouve également également dans la traduction qui a été faite des chansons bretonnes. Dans le
ton Gwinn ar C'hallaoued que tu nous donnes ci-dessus, "
gallaoued" est traduit par "gaulois"... alors que ce terme désigne avant tout les français ou les bretons non-bretonnants. La langue française se dit
galleg en breton, mais on peut également faire le rapprochement avec le gallo, le patois d'oïl parlé dans l'Est de la Bretagne.
- penser que ces chants seraient demeurés intacts et inchangés depuis l'Antiquité est un non-sens. Il faudrait expliquer par quels mérites les gens se les seraient transmis sans aucune modification (alors qu'il s'agit de champs profanes, non sacrés.
Il faudrait également déterminer pourquoi les changements d'idiomes, qui s'accompagne toujours d'un certain nombre de
lost in translation, n'ont pas opéré sur ces chansons. Car la langue gauloise, ou même l'ancien britonnique du Haut Moyen-Age, n'ont pas grand chose à voir avec le breton du XIXème siècle...