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Tsunamis : vieille polémique autour de la prédiction animale
L'information a surpris. Rapproché au flot grandissant des victimes humaines du raz-de-marée en Asie, il eut presque été indécent de rappeler trop fort la "chance" qui avait préservé la faune de la région, si ce n'est la fameuse coopération des éléphants ayant permis de sauver plusieurs vies. Cette "chance" n'est pas réellement de la chance. Depuis plusieurs années, des chercheurs du monde entier tentent d'expliquer les opportunités de détection des tremblements de terre et le comportement des animaux lors de certaines catastrophes naturelles. Fin 2003, une série d'articles à ce sujet avaient tenté de faire la lumière sur ce prodigieux instinct de conservation animal.
Comme le relate alors une dépêche de l'agence AP, tout est parti des travaux d'un chercheur japonais, le docteur Kiyoshi Shimamura, affirmant que les chiens ressentent l'imminence d'un danger. Il a constaté, par exemple, que les morsures de chien augmentaient significativement avant un séisme, et des recherches approfondies dans des hôpitaux japonais ont permis d'extraire des données concrètes : lors du tremblement de terre de Kobé (magnitude 7,2, plus de 6000 morts en 1995), les aboiements excessifs, morsures, ont augmenté de 18% au cours des deux mois précédant la catastrophe. Sur l'île Awaji, située sur l'épicentre, ces comportements agressifs avaient même augmenté de 60% au cours du mois précédent par rapport aux données de l'année 1994.
"Aucune base scientifique"
Sous couvert d'anonymat, un scientifique de l'Agence météorologique japonaise a confirmé qu'il existait de nombreux témoignages pour rapprocher les faits, mais qu'il n'existait aucune base scientifique pour que ces animaux deviennent prédicteurs de séisme.
S'agissant de prédiction, toutefois, comme le rappelle un article de CBSnews, un amateur astronome du nom de Yoshio Kushida, avait préalablement suscité l'intérêt en prédisant l'imminence d'un tremblement de terre dans la région de Tokyo en se basant sur des variations d'onde radio (l'incident d'une magnitude de 5.5 a eu lieu, moins fort que l'astronome ne le pensait, blessant malgré tout 7 personnes). Là encore, les experts sont sceptiques, et parlent de coincidence dans un pays où la prédiction fiable de tremblement de terre à court terme serait considérée comme un don du ciel, notamment pour la région de Tokyo, où vivent 20% de la population nippone et qui, loi des cycles oblige, attend anxieusement une nouvelle catastrophe comme celle de 1923 qui fit plus de 140.000 morts.
C'est dans ce contexte de réserve scientifique que Kiyoshi Shimamura présente le fruit de ses observations, qui montrent aujourd'hui un visage nouveau à la lumière du comportement des éléphants en Thaïlande ou au Sri Lanka. D'autant que d'autres observations en 2003 apportent un indéniable soutien au camp de ceux qui croient les prédictions possibles. Ainsi, comme le relate le San Francisco Chronicle, des chercheurs du Comité de Recherche des Tremblements de terre du gouvernement japonais avaient également annoncé l'événement en employant des techniques utilisées en Californie : ils évoquaient alors un tremblement de terre d'une magnitude de 8.1 dans la plaine Tokachi dans les trente années à venir, là même où le séisme a finalement frappé en septembre 2003. "Une prévision très réussie", enchérit alors Ross Stein du Bureau d'études géologiques américain (USGS) de Menlo Park.
Emmanuel Kant comme témoin
Si la technologie moderne permet d'approcher un seuil de détection satisfaisant pour parer aux catastrophes les plus importantes en "sondant" les vibrations terrestres, la question de la sensibilité animale vis-à-vis de ses vibrations est posée par ceux qui soutiennent la thèse Shimamura. Comme le rappelle Maryann Mott, du National Geographic, "la croyance selon laquelle les animaux peuvent prévoir les tremblements de terre date de plusieurs siècles". "En 373 av. J.-C., des historiens ont noté que des animaux, dont des rats, des serpents et des fouines, ont déserté la cité grecque de Héliké quelques jours avant sa destruction par un tremblement de terre." Les récits "d'anticipation animale" sont nombreux à travers les âges, des poules qui arrêtent de pondre aux abeilles qui abandonnent leur ruche, des proprétaires de chats et de chiens témoignant du comportement étrange de leur animal avant un choc; Emmanuel Kant l'évoque même dans ses écrits : "huit jours avant (le tremblement de terre de Lisbonne, 1755) le sol près de Cadix s'est recouvert d'une multitude de vers s'extirpant de la terre".
150.000 personnes sauvées en Chine
En 1975, les autorités chinoises ont évacué le million d'habitants de la ville de Haicheng, quelques jours avant un tremblement de terre d'une magnitude de 7.3 - sur la base, notamment, de l'observation de serpents interrompant leur hibernation et sortant de terre pour venir mourir gelés sur le sol, ou du bétail refusant de rentrer dans les fermes. Une infime partie de la population a été tuée ou a disparu, et on estime que le nombre de victimes auraient pu dépasser 150.000 si l'évacuation n'avait pas eu lieu. Andy Michael, confrère de Ross Stein au Bureau d'études géologiques américain, pour qui ces histoires d'animaux ne sont que "des anecdotes", affirme que "l'incident Haicheng est ce qui donne l'espoir aux gens que les tremblements de terre sont prévisibles", mais de pondérer : "les animaux réagissent à tant de choses, la faim, la défense du territoire" qu'il est difficile selon lui d'étudier de manière fiable ces avertissements.
Cet argument n'est pas partagé par Rupert Sheldrake, biologiste et auteur de livres tel que Dogs that Know When Their Owners Are Coming Home ("Les chiens savent que leur maître rentre à la maison") : "une relation entre le comportement animal et les tremblements de terre peut être établie, même si toutes les secousses ne génèrent pas un comportement animal inhabituel, comme les Chinois s'en sont aperçu". Le biologiste a lui-même étudié les événements de Northridge (Californie, 1994) ainsi qu'en Grèce et en Turquie en 1999. "Dans tous les cas, j'avais des témoignages de comportements particuliers préalables, dont des chiens hurlant mystérieusement la nuit, des oiseaux en cage devenant intenables, des chats devenant particulièrement nerveux et cherchant à se cacher." Et Sheldrake de poursuivre : "ces comportements spécifiques d'animaux avant un tremblement de terre sont relevés de manière indépendante partout dans le monde, je ne peux pas croire que ces récits similaires aient pu être inventés".
Rupert Sheldrake tient sa conclusion : "inciter les gens à se manifester lorsqu'ils sont témoins d'un comportement animal excessif impliquerait des millions de personnes, encouragerait la participation et la recherche d'un public au sens très large - et serait amusant. Ce qui empêche cette recherche n'est pas l'argent mais le dogmatisme et l'étroitesse d'esprit." On ne doute pas que ces récits d'éléphants qui pleurent, qui arrachent leurs chaines, qui désobéissent à leur cornac ou qui s'enfuient en forêt à quelques mètres de l'endroit que le tsunami finit par atteindre, ces histoires que nous avons tous un peu vécues par média interposé, relanceront certainement le débat. Et permettront peut-être de sauver davantage de vies la prochaine fois.
Source: yahoo actualités