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La plus grande imposture musicale des temps modernes

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La plus grande imposture musicale des temps modernes

Message par DanaScully » Mer Février 28, 2007 14:16

La plus grande imposture musicale des temps modernes : "une pilleuse au piano"

Mercredi dernier, Andrew Rose est allé prévenir la mairie du village de Dordogne où il réside depuis trois ans, Saint-Méard-de-Gurçon, qu'il risquait d'y avoir un peu de remue-ménage dans les rues, les jours prochains. Des équipes de télé allaient débarquer pour demander à ce sujet britannique de 38 ans de leur montrer comment il s'y était pris pour démonter la plus grande imposture musicale des temps modernes. Une affaire déjà baptisée «Hattogate», d'après le nom de son personnage central, la pianiste britannique Joyce Hatto.

Au premier étage d'une maison largement centenaire, juste en face de l'église du village, les caméras ont découvert une pièce aux murs blanchis à la chaux où Andrew Rose a entassé magnétophones, platines et ordinateurs. Là, face à deux écrans plats et deux grands haut-parleurs délivrant un son cristallin, l'ancien ingénieur du son de la BBC, aujourd'hui patron de sa petite entreprise de postproduction musicale (Pristine Audio), jongle avec des boutons, appuie sur quelques touches. Et soudain tout devient clair comme de l'eau de roche. Certains, et peut-être la majeure partie, des disques de Joyce Hatto, pianiste classique révérée depuis deux ans par un petit cercle d'aficionados, sont en fait des copies trafiquées de disques d'autres pianistes.

L'affaire démarre le 13 février, lorsqu'un mélomane signale à la revue américaine en ligne ClassicsToday.com un phénomène étrange. Alors qu'il veut transférer sur son ordinateur le CD des Douze études d'exécution transcendante de Liszt exécutées par Joyce Hatto, afin de le charger ensuite sur son iPod, l'homme a la surprise de constater que la base de données interrogée par iTunes pour récupérer les informations du CD identifie le disque comme étant d'un certain Laszlo Simon, pianiste hongrois qui a interprété les mêmes pièces pour une autre maison de disques. Se rendant alors sur Amazon.com pour écouter des extraits du CD de Simon, le lecteur mélomane s'aperçoit qu'effectivement, sur la plupart des pistes, que la musique est presque identique à celle de Hatto.

Le lecteur s'en étonne par mail auprès de Jed Distler, critique de ClassicsToday, qui, l'an dernier, a dit beaucoup de bien des disques de Hatto. A partir de 2003, cette pianiste âgée mais relativement peu connue a inondé le marché de CD éblouissants qui passent en revue un pan incroyablement large du répertoire ­ de Scarlatti à Messiaen, de Mozart à Leopold Godowsky, de Haydn à Prokofiev ­ avec, à chaque fois, le ton juste et un goût particulier pour les oeuvres les plus difficiles à jouer.

Label familial et studio privé

Hatto a fait dans les années 50 et 60 une carrière de concertiste notable, sans être exceptionnelle. En décembre 1976, victime d'un cancer des ovaires qui l'oblige à rester cloîtrée tant elle souffre, Joyce Hatto disparaît totalement de la scène et du monde. Or la voilà qui reparaît subitement via des disques miraculeux, produits et distribués par son mari, William Barrington-Coupe, sous le label familial Concert Artist. Ces enregistrements sont présentés comme ayant été réalisés tout au long des années 90 dans un studio privé de Cambridge, à proximité du domicile du couple.

Des critiques s'extasient. En août 2005, Richard Dyer, du Boston Globe, parle de «la plus grande pianiste vivante dont personne n'ait jamais entendu parler». «Un des plus grands pianistes que la Grande-Bretagne ait jamais produits», prolonge le critique Jeremy Nicholas en janvier 2006 dans les colonnes de Gramophone, référence anglaise sur la musique classique. Sur MusicWeb, un dénommé Ates Orga sculpte cette statue : «pianistiquement l'arrière-petite-fille de Liszt et la petite-fille de Busoni et Paderewski, poétiquement la nièce de Rachmaninov». Le mari/producteur de Hatto se rengorge : «Je crois que sa maladie a ajouté une troisième dimension à son jeu.» Mais aucun des critiques enthousiastes n'a l'occasion de la voir jouer, ni même de la rencontrer.

Le rédacteur en chef de Gramophone, James Inverne, se souvient : «C'était soudain la grande affaire romantique de la musique classique.» Jed Distler écoute Hatto et est séduit à son tour même si, écrit-il aujourd'hui, «je me suis brièvement dit qu'une telle quantité d'enregistrements et une telle qualité artistique étaient trop belles pour être vraies». Il n'en est pas moins dithyrambique dans ses critiques.

Quelques mois plus tard, en juin 2006, la pianiste succombe de son cancer, à l'âge de 77 ans. Nouvelle vague d'éloges. «Je ne connais aucun pianiste dans le monde qui lui soit supérieur musicalement ou techniquement», annonce cette fois Ates Orga, qui lui prédit une «extraordinaire gloire posthume». Au lieu de quoi les mélomanes commencent à se poser des questions : comment une femme malade a-t-elle pu enregistrer de tels joyaux en si peu de temps ? Sur les forums spécialisés, certains se mettent à évoquer une supercherie. Durant l'été, Gramophone met ses lecteurs au défi d'apporter des preuves. Et voilà qu'en février 2007 le logiciel iTunes finit par pêcher cet indice troublant.

Jed Distler informe immédiatement les rédacteurs en chef de ClassicsToday et de Gramophone de la découverte. James Inverne lui conseille alors de faire analyser les morceaux par l'expert Andrew Rose, qu'il connaît. C'est ainsi que l'affaire débarque, via des fichiers musicaux expédiés par Internet, au milieu des vignobles de Bergerac et de Montravel. Rose repère rapidement que dix des douze pistes du CD proviennent bien du disque de Simon Laszlo (sorti en 1987), mais avec une manipulation numérique qui a permis de changer légèrement le tempo tout en conservant la tonalité. Ramenés au même tempo, les dix morceaux de deux disques sont exactement identiques. Mais d'où viennent les deux autres ? Andrew Rose fouille Internet à la recherche d'autres interprétations de Liszt et finit par dénicher sur Amazon des extraits d'un CD de 1993 enregistré par le pianiste japonais Minoru Ojima. Bingo.

De la même manière, l'ingénieur du son anglais va découvrir que les interprétations de Godowsky par Hatto sont en réalité celles du pianiste italien Carlo Grante. Pour Rachmaninov, c'est Yefim Bronfman. Pour Brahms, c'est Vladimir Ashkenazy, etc. «La liste s'allonge tous les jours», sourit Andrew Rose. C'est d'ailleurs devenu un jeu pour amateurs éclairés que de traquer les emprunts ; plusieurs dizaines de CD seraient concernés, mais l'ingénieur du son n'a pu encore tout vérifier. Indépendamment, un laboratoire universitaire de Londres, le Research Centre for the History and Analysis of Recorded Music, est parvenu à démontrer, avec d'autres méthodes, que des mazurkas de Chopin présentées comme interprétées par Hatto étaient en fait des exécutions du pianiste franco-américain Eugen Indjic.

«Je l'ai fait pour ma femme»

William Barrington-Coupe, 76 ans, a dans un premier temps réfuté en bloc toutes les accusations de fraude. Mais hier, Gramophone a rendu publique une lettre dans laquelle le mari confesse finalement la manipulation des enregistrements : «Je l'ai fait pour ma femme» , a-t-il écrit à l'une des maisons de disques pillées. Il assure avoir monté cette supercherie pour donner à la carrière de sa femme, boudée par la critique, une fin en apothéose. Rose et Inverne, comme d'ailleurs tous ceux qui ont examiné le dossier de près, estimaient que de toute façon, «les preuves étaient accablantes» . En guise d'explication, Andrew Rose penche plutôt pour une simple affaire de gros sous. Presser un CD coûte environ une livre sterling et peut en rapporter douze ou treize. Sachant que chaque CD est produit au minimum à mille exemplaires et que Concert Artist a commercialisé ces dernières années 119 titres de Joyce Hatto (d'autres sont annoncés !), le bénéfice pourrait dépasser le million de livres sterling.

Comment se fait-il que personne ne se soit aperçu de rien jusqu'à aujourd'hui ? Andrew Rose note que les enregistrements qui ont été pillés étaient pour la plupart anciens et relativement confidentiels. Par ailleurs, Barrington-Coupe n'a jamais cherché à faire distribuer ses disques à l'étranger. Jusqu'à l'article de Gramophone en janvier 2006, l'audience de Joyce Hatto est restée plutôt restreinte.

La reconnaissance automatique des CD lors de leur insertion dans un ordinateur n'aurait-elle pas dû dévoiler le pot aux roses depuis bien longtemps ? Non, car les logiciels de lecture de MP3 comme iTunes identifient les CD de manière très particulière. Via Internet, sans même que l'utilisateur s'en aperçoive, ils envoient à des bases de données comme Gracenote ou Freedb une «empreinte numérique» du CD calculée à partir du nombre de pistes et de leurs durées respectives, au soixante-quinzième de seconde près. Ces empreintes permettent alors aux bases de données de retrouver le CD correspondant puis de renvoyer le nom du disque, des morceaux, de l'interprète, etc. (sauf si bien sûr le disque n'est pas répertorié). Cela signifie que si l'ordre ou la durée des morceaux ont été modifiés, même très légèrement, les bases de données deviennent impuissantes à reconnaître les disques. Or les «faux» de Joyce Hatto ont tous été manipulés numériquement, certains morceaux ayant une durée différente de 15 % par rapport à l'original.

Oui mais alors comment se fait-il que le CD des Douze études d'exécution transcendante de Liszt ait pu, lui, être identifié automatiquement ? Andrew Rose voit là une énigme. Il avance toutefois une hypothèse : comme les bases de données peuvent être modifiées par tout un chacun, un mélomane ayant repéré les grandes similitudes entre les disques de Hatto et de Simon, mais ayant peu de goût pour la délation, aurait pu récemment changer les données pour rétablir la vérité. Il aurait ainsi posé une bombe à retardement, qui a fini par exploser le 13 février.

La part du vrai et du faux

James Inverne s'amusait récemment que «la grande affaire romantique de la musique classique» soit devenue «le grand mystère de la musique classique». Mais la critique musicale va devoir balayer devant sa porte, au moins pour rendre aux pianistes spoliés les louanges adressées à Hatto. Sans pour autant jeter le bébé avec l'eau du bain : «Il s'agit maintenant de distinguer la part des vrais et des faux», prévient Inverne, car Hatto, ancienne élève d'Alfred Cortot et de Clara Haskil selon la biographie officielle, a aussi de réels mérites. Elle a par exemple bel et bien enregistré en 1965 les étranges et complexes Variations symphoniques d'Arnold Bax, comme en témoignait l'an dernier Vernon Handley, chef du Guildford Philharmonic Orchestra, qui accompagna la pianiste à cette occasion.

Le lecteur anglophone laissera le dernier mot à Joyce Hatto elle-même en allant écouter l'interview fascinante qu'elle a donnée par téléphone, peu avant sa mort, à Radio New Zealand. D'une voix de petite fille émerveillée, elle parle des grands compositeurs avec érudition, et de ses disques avec humilité. Comme le souhaitait son mari, enfermée dans l'illusion de finir en beauté. "

Edouard LAUNET
Source : LIBERATION 27 février 2007
"Le bonheur et la souffrance dépendent de votre esprit, de votre interprétation. Ils ne viennent pas d'autrui, ni de l'extérieur. Tous les bonheurs, toutes les souffrances ne dépendent que de vous, ils sont créés par votre esprit." Lama Zopa Rinpoche

mercatore

Message par mercatore » Mer Février 28, 2007 15:54

Une magistrale imposture. Tout cela grâce à notre technologie actuelle. Il y aura probablement des suites judiciaires, non ? En tout cas texte très intéressant.
_____________________________ Abientôt__________________________

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Localisation : Invalides

Message par Napoléon » Mer Février 28, 2007 21:58

Argh dire que les Milli Vanilly étaient experts en imposture, je suis bluffé là :lol: .
"La vérité appartient à ceux qui la cherchent et non point à ceux qui prétendent la détenir."
Condorcet

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Message par TOS » Jeu Mars 01, 2007 01:51

Incroyable cette histoire :shock: Comme quoi, futurs plagieurs mefiez-vous, Internet est là pour dénnoncer vos délits !
Un ami c'est quelqu'un qui vous connaît mais qui vous aime bien quand même.

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Inscription : Ven Septembre 29, 2006 19:58
Localisation : nord

Message par joachim » Jeu Mars 01, 2007 15:56

Etonnant, en effet. On ne saura sans doute pas si la mystification est un acte d'amour, ou dictée par l'intérêt. Peut-être un peu des deux...

Je serais curieux de connaître la réaction de Laszlo Simon quand il a appris qu'on a trafiqué ses enregistrements.

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