Ave Maria, la nouvelle ville américaine

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Jusqu'ici, la Floride était connue pour sa mafia anticastriste, ses retraités pleins aux as et ses recomptages électoraux houleux. Il faudra désormais compter avec Ave Maria...

A en croire le multimilliardaire Tom Monaghan, exempereur de la pizza livrée à domicile, «Catholic City», première ville de la planète «conçue, construite et habitée par des catholiques», accroîtra son rayonnement spirituel jusqu'aux confins de la planète. Dans ses moments d'exaltation, l'ancien magnat de la restauration rapide laisse même entendre que, dans un monde à la dérive, sa cité modèle, située à 200 km au nord de Miami, sauvera la chrétienté. Pour l'heure, Ave Maria n'est encore qu'une vaste étendue de terre labourée par les engins de chantier. Mais, quand Monaghan consulte les plans de ses architectes, il s'y croit déjà.

Au centre, la cathédrale sera flanquée d'une «piazza à l'européenne» et d'un crucifix de 22 m, le plus grand des Etats-Unis, pour servir aux pèlerins de lieu de ralliement. Pas grand-chose à dire, en revanche, des immeubles et des bungalows proprets, disposés le long des rues tirées au cordeau comme les principes moraux du mirobolant Monaghan. Jeb Bush, gouverneur de Floride et frère du président, estime en tout cas qu'il s'agit là d'une idée formidable. Lors de la pose de la première pierre, le frère cadet de «W» a estimé que son ami Monaghan faisait oeuvre de pionnier «en rassemblant dans une même ville une communauté de citoyens partageant les mêmes convictions». Autrement dit, selon lui, la création de ce ghetto climatisé, romain et apostolique constitue, dans la république du melting-pot, une formidable avancée. Alléluia!

Il est vrai qu'après avoir vendu pour 1 milliard de dollars ses parts dans Domino's Pizza, Monaghan se sentait l'âme d'un conquistador: c'est la lecture du livre Mère Christianity- la «Pure Chrétienté» -, porté à l'écran par la firme Walt Disney, qui l'a convaincu de sa mission d'«entrepreneur de Dieu». «L'histoire, rappelle-t-il, n'est qu'un vaste champ de bataille entre le Bien et le Mal et je ne veux pas mécontenter d'être un observateur.»Tout à son enthousiasme, il a déjà fait surgir du sol l'université catholique d'Ave Maria dans le Michigan, «modeste» esquisse de ses futurs projets d'urbanisme confessionnel. Car sa cité du soleil, placée sous la protection de la Vierge, sera construite sur le modèle des villes de la Renaissance. Elle comptera 20 000 habitants (ou faut-il dire «fidèles»?), installés dans 11 000 logements. Faut-il préciser que ses pharmacies ne vendront pas de contraceptifs, que ses chaînes de télévision y seront expurgées de tout ce qui offense la décence et la morale chrétienne? Ses cliniques se mettront pareillement en marge de la loi américaine en prohibant radicalement l'interruption de grossesse. On ignore si les fontaines publiques dispenseront de l'eau bénite...

La direction spirituelle de la ville sera notamment assurée par l'université Ave Maria II, construite non loin de là, toujours grâce aux largesses du richissime Monaghan. Son campus déménagera à l'intérieur de la ville, dès que celle-ci sera en mesure d'accueillir ses premiers habitants.

Lorsque le père Joseph Fessio, son recteur, a rencontré récemment Benoît XVI à Rome, ce dernier était avide d'en savoir plus: «Alors, a-t-il demandé, comment avancent les travaux de la future ville ?» On ignore si le saint homme lui a rétorqué que 60% de l'espace commercial était déjà loué et que l'on dénombre déjà 10 000 candidats à l'achat d'une maison. C'est en tout cas ce que précise un agent immobilier local. «Les trois quarts des plus beaux appartements, vendus aux alentours de 400 000 Euros l'unité, ajoute-t-il, sont déjà réservés, car ils donnent sur la cathédrale.» Et les candidatures continuent d'affluer: «La création d'une ville catholique est une idée géniale. Je rêve d'y vivre, même si c'est cher, car cela doit être fabuleux d'avoir des voisins qui ont des principes et des valeurs, confie Sarah Jean Ballard, une catholique de Boston. Nous pourrons ainsi élever nos enfants aux côtés de gens qui partagent nos croyances!»

Responsable local de l'American Civic Liberties Unions (Adu), Brandon Hensler est nettement moins enthousiaste, car Ave Maria constituera, en édictant ses propres lois, une violation flagrante de la séparation entre l'Eglise et l'Etat. «Nul ne peut, dit-il, invoquer ses convictions religieuses pour se substituera l'Etat.» Ceci posé, l'Aclu ne trouve rien à redire au principe d'une ville ou d'un quartier bâtis suivant des critères religieux. «Voyez, dit son porte-parole, les mormons dans l'Utah, les quakers en Pennsylvanie ou les juifs orthodoxes à Brooklyn.» Mais, nuance capitale, ces communautés n'édictent pas leurs propres lois. En fait, le contentieux majeur entre Ave Maria et l'Etat fédéral concerne les soins que prodiguera l'hôpital. Pour Joseph Fessio, l'enjeu est d'une simplicité biblique: «Nous enseignons à nos étudiants une vision morale de l'existence, explique-t-il posément, les mains croisées sur son bureau. Or, les contraceptifs ne sont pas, selon nous, une méthode légitime pour espacer les naissances. Nous ne pouvons l'enseigner et accepter que des médecins nous contredisent.» Amen...

Source : Marianne