Bon, voilà une nouvelle, qui j'espère ne sera pas trop longue...
Le "fond" est assez vieux, puisqu'elle date de l époque où j'étais encor au collège, mais je l'ai entièrement réécrite.
Le vent
Tout commença par une brise légère, à peine un soupir entre les troncs gris des pommiers. Le souffle berçait les fleurs fanées qui tombaient lentement, comme des flocons, au milieu des herbes folles.
L’enfant riait, ses longs cheveux dorés emmêlés par l’haleine tiède et parfumée. Debout sur la balançoire, elle cherchait à monter de plus en plus haut, comme pour s’envoler.
- Doucement Juliette ! Tu vas finir par tomber ! , prévint une voix flûtée.
Sa mère l’appelait depuis l’étage, penchée par une fenêtre. Juliette leva les yeux en souriant, et lui fit un petit signe de la main, ce qui en soit semblait un défi à l’équilibre.
- C’est bientôt l’heure du goûter, continua sa mère, rentre maintenant !
- Non, pas tout de suite maman !
La mère haussa les épaules, après tout il paraît qu’il faut les laisser vivre… et elle referma la fenêtre.
Le vent soufflait toujours. Il frôlait les arbres comme un chat trop câlin, dérobant les rubans de l’enfant qui s’enfuirent dans l’air, longs papillons rouges aux ailes molles.
Et puis, les herbes sèches du verger se mirent à caqueter, d’abord doucement, puis de plus en plus fort. Les graviers les plus légers de la cour montèrent en tourbillons de poussière, crissants et volatiles. Une plainte sourde vibra dans les gouttières et les tuiles du toit. Les feuilles pâles des pommiers semblèrent clignoter, soudain enflammées telles de minuscules écailles d’argent.
Une porte claqua dans la maison, comme un coup de feu.
- Juliette ?
La mère était descendue dans la cour et, à sa grande surprise, trouva la balançoire désertée, mue par la seule force du vent.
- Juliette ?
Elle fit le tour de la maison, tandis que le ciel commençait à s’assombrir. Elle alla même vérifier si le portail du jardin était toujours fermé. Il l’était.
Alors, rassurée, elle retourna à l’arrière de la maison.
- Juliette ? Aller, rentre maintenant !
Elle se tenait à la lisière des broussailles, hésitant à entrer dans le verger en petites chaussures.
Les herbes remuaient et craquaient, animée par un incendie secret. Les cimes des pommiers s’étaient mises à ployer et les fleurs semblaient bondir des branches dans le plus grand désordre, petites flèches blanches crevant l’atmosphère devenue céruse et lourde. La jeune femme leva les yeux au ciel, craignant un orage. Des nuages de bitumes roulaient les uns sur les autres, épais, gonflés, prêts à éclater.
- Juliette ! Rentre, il va pleuvoir !
N’y tenant plus, elle enjamba un roncier et s’engagea dans la jungle miniature du verger. A peine avait-elle fait deux pas qu’une branche la gifla, traçant deux petites marques écarlates sur son front.
- Allons, rentre ! Je n’ai pas envie de jouer à cache-cache !
Un éclair zébra le ciel de plomb et le coup de tonnerre qui suivit la fit sursauter. Il faisait presque aussi sombre qu’une nuit maintenant, et elle avançait prudemment tandis que les ronces et les orties lui mordaient les mollets.
- Juliette ?
Elle était parvenue jusqu’à un petit cabanon à l’aspect délabré. Sans doute Juliette se cachait-elle là. Elle allait surgir de l’ombre en criant « BOUH ! » et sa mère ferait semblant d’avoir peur, pour la forme. Puis, elles courraient en riant vers la maison.
- Juliette ?
Elle n’eut pas besoin d’attendre que ses yeux se soient habitués à la pénombre pour constater que le cabanon de planches était vide.
Elle sortit et tendit l’oreille. Dans le mugissement des bourrasques qui s’écharpaient dans les branches, dans le crissement des herbes, il lui sembla entendre une voix d’enfant. Un enfant qui riait, ou peut-être qui criait.
Une angoisse terrible empoigna sa gorge. Quelque chose n’allait pas, quelque chose n’était pas normal…
Elle s’élança en courant dans les herbes et les ronces, en direction de la voix. La pluie se mit alors à tomber à grosses gouttes, si drue qu’on aurait dit de la grêle.
- Juliette !
Elle essayait d’appeler mais l’effort et la panique l’essoufflaient vite.
Juliette ne pouvait pas être loin… Juliette aurait répondu si elle l’avait entendue…
Elle n’arrivait plus à réfléchir posément.
Un nouvel éclair jeta ses feux blancs sur les troncs et les herbes, dans un embrasement de flash.
Dans la brève lumière vive elle aperçut, ou crut apercevoir une petite silhouette… elle appela encore. Mais seul le tonnerre lui répondit.
Soudain, une bourrasque plus forte encore que les autres arracha une branche morte qui bascula vers elle. Elle ne la vit pas et la branche frappa l’arrière de son crâne. Elle crût d’abord à un éclair, puis tomba dans les herbes détrempées, évanouie.
Lorsqu’elle se réveilla, elle était allongée dans son lit, la tête enveloppée dans une bande de coton. Son mari était assis au pied du lit, mais son visage était tourné vers une fenêtre entrouverte d’où parvenaient des voix masculines et sèches ainsi que des aboiements de chiens.
La sentant remuer, il se retourna.
- Tu es réveillée, dit-il avec soulagement, le docteur t’a donné un calmant… ne t’en fais pas, les gendarmes cherchent, et ils ne s’arrêteront qu’à la nuit tombée. «
Les vitres filtraient la lumière douce et fauve du crépuscule. Elle le regardait, la gorge nouée.
- Comment te sens-tu ? demanda-t-il
Elle ne répondit pas.
Une brise fraîche poussa la fenêtre, comme un animal curieux, et vint caresser son visage. Elle se figea alors, et se mit à trembler.
- Qu’y a t il ?
Dans la brise, une voix d’enfant riait.