À l’automne 1954, alors que la plus grande vague d’atterrissages d’ovnis de tous les temps s’abattait sur la France, une bande de copains décide de s’amuser en créant son propre phénomène lumineux non identifié. Presque cinquante-cinq ans plus tard, nos lurons, maintenant septuagénaires, trouvent que la farce a assez duré et dévoilent le canular dans un article publié dans La Dépêche.
Les faits se produisent le 16 octobre 1954, alors que la France vit une vague d’ovnis qui n’a encore jamais connu d’équivalent. De jeunes hommes montent dans le massif de Millet (Bélesta, région Midi Pyrénées en France) et font tourner une roue de vélo pourvue de lampes puissantes, dont certaines sont colorées avec du papier à bonbon.
Plus bas, de nombreux témoins assistent à la scène, mais les événements leur semblent plus étranges qu’ils ne le sont en réalité. Ainsi, on dit que la lumière montait parfois dans le ciel, ce qui, d’après la révélation des farceurs, est un effet créé par une montée dans la pente. La lumière unique du début semble ensuite se scinder en deux, puis en trois. C’est probablement que les témoins aperçoivent alors simultanément plusieurs lampes du vélo décoré comme un arbre de Noël.
Jusqu’à maintenant, ce ballet de lumière ne montre pas de très haute étrangeté, mais l’affaire se corse lorsque des témoins se rendent sur un plateau voisin et aperçoivent, une vingtaine de minutes après la fin du phénomène, «un vaste objet vert pâle file à très grande vitesse en direction de Belvis, vers l’ouest» (selon la description classique du cas, tel qu’indiqué dans La Dépêche).
Coïncidences ovniesques
Ce qui apparaît comme la dernière phase du phénomène est certes beaucoup plus étrange que les vagues lumières dans la nuit, aux couleurs parfois changeantes, que les témoins ont pu voir, dans un premier temps, se déplacer lentement, apparaître et disparaître. René Lagarde, un des auteurs du canular, a expliqué le dernier stade de la manifestation ovni de Bélesta à La Dépêche:
«Manque de chance pour les jeunes qui voulaient seulement s’amuser, le ciel en a rajouté une couche, comme pour rendre plus crédible leur canular. « Alors que l’on partait, il est passé dans le ciel une énorme étoile filante!» , raconte René. C’était la lueur qui semblait atteindre Belvis dans le témoignage!»
C’est ici que ce canular devient très intéressant, et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je prends la peine de le mentionner sur ce blog.
En ufologie (comme dans d’autres domaines associés à l’étrange), certains ont peut-être tendance à amalgamer un peu trop rapidement des événements qui n’ont pas de lien entre eux, sous prétexte qu’ils sont plus ou moins simultanés et plus ou moins au même endroit. Or, une coïncidence dans le temps et/ou dans l’espace ne garantit pas qu’il y ait un lien de cause à effet entre deux faits ou observations.
Lorsque, pour expliquer certains cas, on avance des coïncidences qui semblent trop exagérées, nombreux sont les amateurs d’ufologie qui crient au ridicule et au debunking. Dans le présent cas, on voit bien qu’il est possible qu’une telle confusion puisse se produire. Je ne dis pas que c’est toujours le cas, ni même que c’est fréquent, mais c’est une possibilité qu’il ne faut pas négliger. Statistiquement, la probabilité d’apparition de telles coïncidences est faible mais certainement non nulle. Et puis il ne faut pas oublier que les cas d’observation d’ovnis considérés comme «solides» sont eux aussi très peu fréquents, voire rarissimes…
L’union fait la force
Plus intéressant encore: dans ce cas précis, c’est justement cet amalgame qui a contribué à rendre cette observation difficilement explicable (et crédible en tant qu’observation d’ovni). Car tant que les lumières demeuraient près du massif et se déplaçaient lentement, l’affaire n’était pas particulièrement étrange. Cependant, en confondant la météorite avec ces premières lumières, le cas devenait nettement plus insolite car, soudainement, on avait affaire à une luminosité qui pouvait non seulement se scinder en plusieurs parties et changer de couleur, mais aussi filer dans le ciel à une vitesse vertigineuse.
Avant la révélation du canular, on aurait pu soutenir que la thèse d’une étoile filante était absurde à cause des premières lumières qui semblaient monter et descendre au-dessus du massif. Une météorite en chute libre ne peut pas demeurer en position quasi stationnaire, ni s’élever lentement dans le ciel à faible altitude. Prises séparément, les deux observations auraient pu s’expliquer assez facilement mais l’union des deux rendait le cas beaucoup plus troublant.
Question: qu’aurait-on entendu dans les communautés ufologiques si quelqu’un avait proposé de séparer le phénomène de Bélesta en deux événements distincts et montré que l’affaire n’était, après tout, pas si étrange? Plusieurs auraient certainement crié au debunking sauvage et absurde, au «négationnisme» pur et dur, parce que les explications ne collaient pas aux observations des témoins. Et pourtant…
Encore une fois, je ne dis pas que tous les cas d’ovnis sont le résultat de tels amalgames, qui augmentent considérablement l’étrangeté apparente des phénomènes. Mais c’est une possibilité qu’il ne faut pas rejeter du revers de la main sous prétexte que c’est du debunking bête et méchant. Ce cas en est la preuve et il serait étonnant qu’il n’y ait pas quelques autres affaires du même genre.
(Je ne parle pas seulement de l’amalgame du passage d’un bolide dans un cas d’ovni; le même principe pourrait également s’appliquer pour un écho radar créé par des causes naturelles, des traces au sol préexistantes, etc. Ça vous dit quelque chose?

)
Cela dit, le cas de Bélesta repose sur l’observation de simples lumières nocturnes, où les confusions et erreurs d’interprétation sont plus faciles à commettre.
En outre, il faut également souligner que la vague française de 1954 comportait un nombre record d’observations spectaculaires d’engins apparemment matériels d’où descendaient des humanoïdes, souvent de petite taille. Il y a eu énormément d’observations en peu de temps et, comme il y avait très peu d’enquêteurs à l’époque, plusieurs cas n’ont pas pu être convenablement étudiés sur le terrain. Il faut aussi noter que le nombre de canulars, avérés ou suspectés, semble lui aussi anormalement élevé pendant la vague française de 1954. (Pour vous en convaincre, cherchez « canular 1954″ dans un site tel que Ufologie.net.)
Par contre, il faut bien réaliser qu’une observation n’est pas une vidéo holographique et que les témoins, même de bonne foi, peuvent être victimes de leur sens. D’ailleurs, il n’est pas nécessaire de chercher bien loin pour illustrer ce fait: les témoins de Bélesta disaient que les premières lumières montaient dans le ciel, alors qu’on sait maintenant qu’elles demeuraient très près du sol en tout temps.
Décidément, l’étude des ovnis est une affaire très complexe où il faut tenir compte des erreurs de perception, d’éventuelles traces au sol, perturbations magnétiques ou radar, etc. et tenter d’expliquer le tout de façon cohérente, ce qui n’est pas toujours facile. Mais c’est probablement aussi ce qui fait la beauté de l’ufologie (la vraie), en plus de son aspect potentiellement étrange et irréel.
Et puis, plus je creuse le sujet, plus je me rends compte que les ovnis et l’ufologie nous en apprennent beaucoup sur l’humain: ses perceptions, ses espoirs, ses rêves, son imaginaire et même (peut-être) parfois ses délires. Après plus de soixante ans d’ufologie moderne, on ne sait pratiquement rien sur les ovnis mais, par contre, on en a appris un peu plus sur nous-mêmes.