Lovecraft était un matérialiste convaincu mais je pense qu'il avait plus que quiconque compris la portée symboliste de la plupart des livres de magie et autres grimoires maudits. Sa démarche fut plus Nietzschéenne, voir aristotélicienne. Il fallait un système pour non pas crédibiliser son univers mais lui donner une dynamique, une force agissante, sans réelle frontières, mais des portes qui s'ouvrent et se referment. Bref, avant tout le monde, il avait, je pense, parfaitement intégré la théorie du chaos dans son oeuvre, ce qui fait que, de façon crétine, la critique en France a toujours voulu en faire, jusqu'à très récemment, un écrivain de sf, histoire de rassurer notre sainte raison qui n'a rien à voir avec la raison et encore moins avec Descartes, mais plus avec un certain esprit emprunt de cohérence, de réalisme coupé de toute base ou référence mythique. Lovecraft séduit en France, mais c'est dérangeant parce qu'il y a du mythique, parce l'auteur fait usage de mythes qu'il réacitve, mieux, auquel il confère une vie autonome. Impossible de baliser ça avec la science, c'était inquiétant, donc fallait l'épingler vite fait, donc c'était de la sf, erreur...
Or, Lovecraft fut bien un homme de raison, même avec ses déviances racistes, et sa démarche est incroyablement rationnelle, mais peut-être peu conforme à l'esprit bourgeois de son époque, encore marquée par l'ère victorienne. C'est bien du fantastique, mais d'un fantastique bien particulier dont il s'agit.
Quelques livres : Le livre de Toth, Les diverses inventions, recréations (je ne me souviens plus des titres mais il y en a toute une portée) de René Schwaller de Lubics & C. Daly King, Les Stances de Dzian, qui est le manuscrit mystérieux fondateur des théosophes, Les écrits de l'Abbé Thrithème, La Monade Hiéroglyphique de John Dee, le manuscrit Voynich par Roger Bacon, les écrits de Filippov, La Double Hélice du Pr James, D. Watson, le Manuscrit Mathers par Aleister Crowley et ses potes de la Golden Dawn, Excalibur ou le livre qui rend fou. Bien après Lovecraft, il semblerait que le poto Ron Hubbard ait compris la puissance du mythe fondateur, surtout quand il est écrit et qu'on le dit venu du ciel, donc des ET. Ce livre est le bréviaire secret et la fondation du mythe Scientologue, même si personne n'en parle vraiment. Et c'est curieux mais cela nous montre (et non pas nous prouve) une chose : toute religion ou tout mouvement pseudo religieux doit avoir une base symboliste et mystique aptent à produire de la vérité, ou du moins convaincre, pour gagner. Ce que Hubbard a parfaitement compris, et qui va à l'encontre du jeu littéraire inventé par Lovecraft, c'est qu'un mouvement, mensonger ou pas, se doit de trouver ses fondations dans un écrit, des rouleaux, des plaquettes.
En ce qui concerne L'Excalibur de Hubbard, c'est un bouquin, enfermé dans un coffre. Je vous laisse apprécier la portée symboliste et Bancaire de cette image, un bouquin (le savoir) dans un coffre (l'argent amassée, accumulée et sanctifiée) . Jésus se voit dépassé par une puissance ET basée sur l'accumulation d'argent. Hérésie ? Danger ? Ou bien conformation à une norme monétaire ?
Hubbard a cet unique talent qui est de nous montrer combien les systèmes de croyances fonctionnent encore, ils ont juste besoin d'une donnée nouvelle, l'argent et les rêves qu'elle promet, sans pourtant réellement les réaliser...
Il existe d'autres livres plus classiques, comme Le Grand et le Petit Albert, plus populaires car issus des croyances des campagnes. Il y a aussi le livre des conjurations du Pape Honorius, et oui, même les papes ont soif de volonté de puissance. L'Enchiridion du Pape (encore un) Léon III, le pote de Charlemagne. On peut se demander à ce propos s'il s'agissait vraiment d'Hérésie ou bien d'une façon plus ancienne, sans les médias, de faire de la pub pour ameuter les foules et séduire le peuple face à des concurrents.
Nous avons ensuite Le Dragon Rouge, ou le livre du Diable, attribué aux grands sacrificateurs du culte de Yahvé (résurgence de la chose chez les témoins de Géovah, mais de façon plus épurée dans leur lutte contre les sectes ou l'église officielle ? Et qui du coup se montrent autant plus cruels et corrompus par l'argent, malgré la bonne volonté et les bonne sintentions de certains membres ? Amusant...)
La Poule Noire ou le livre de la science du bien et du mal.
Le Génie et le trésor du vieillard des pyramides, qui est très, comment dire, "guide du routard" de l'époque en terre sainte, histoire de s'extasier devant les secrets du roi Salomon, toujours enfouis, bien entendus, si bien qu'on creusa partout, quitte à rivaliser avec les pilleurs des pyramides...
Le Rituel de haute magie par Cornélius Aggrippa (il en a fait d'autres) très influencé par Lucrèce en ce qui concerne la vision, et d'un certain intérêt...
La Chouette Noire, qui est la suite du "Génie et le trésor du vieillard des pyramides, un peu plus obscur, romanesque, aristocratique je dirais...
Enfin voilà, tu as là quelques exemples intéressants, et deux chemins, ceux qui inventèrent ou reprirent ces livres pour la puissance et se prendre pour des anges, et donc devenir un peu des démons déçus (Crowley, Guaîta et compagnie) et ceux qui s'en servirent comme d'un admirable jeu littéraire pour donner justement ce qui fait la force de leurs écrits : Une croyance, mais sous forme de pacte éphémère, entre le lecteur et le créateur; C'est là une chose tout à fait délectable et autrement plus intéressante...
Howard, Derleth, Smith, tous les amis écrivains de Lovecraft ont compris la chose, les autres, ceux qui ont soif de croire, se sont mis à chercher, ce qu'il n'y avait peut-être pas à chercher, mais que veux-tu, c'était tellement excitant...
