Je ne suis pas plus calé que toi, tu sais, tellement ce poème nommé Beowulf, mais qui aurait, d'après ce que je sais, trois ou quatre autres appellations, est difficile à interpréter. Tout ce que je peux te dire c'est ce qu'un philologue, décédé à présent depuis longtemps, m'a raconté sur la manière avec laquelle les peuplades du nord narraient leurs récits glorieux et autres poèmes. En fait, Beowulf était un récit qui pouvait se voir raconté de la bouche de divers protagonistes. Un pourra être le monstre lui-même, souvent plus caustique que pathétique (un affect trop chrétien pour un barbare du nord) , l'autre la dame même qui a porté ce monstre, enfin, un simple homme du peuple pourra raconter son histoire, émaillant son récit de traits d'humour ou de morts stupides. Ce pourra être une femme ou un homme qui raconte, voir même parfois un enfant, ce qui prouve que ces sociétés nordiques étaient moins patriarcales et machistes qu'elles n'y paraissaient de prime abord, par le biais des récits rapportés par les voyageurs étrangers à leur monde. Un se lève et annonce une grande histoire, en disant à chaque fois "moi je vous dis, je sais par un tel que" et il commence à partir d'une généralité ou d'une rumeur à inventer une histoire à partir d'éléments très anciens. Il se lève donc et avise l'assemblée de son gobelet comme il le ferait d'un doigt autour de lui, l'assemblée formant un cercle fermé. Puis une autre voix s'élève et c'est un second qui se met debout et raconte alors la même histoire mais rapportée par un autre aïeul, et ainsi de suite. Les discours sont racontés avec force, le ton variant entre une comptine chantée et un discours plus circonstancié, des jurons et des promesses lancées au passage.Puis le second se rassied et frappe d'une seule mains sur le genoux droit, pendant qu'un autre se lève et faisant mine de ne pas avoir compris repart de plus belle. Ensuite, à un moment donné, une femme prend la parole, c'est elle qui rompt le rythme et marque en quelque sorte une pause, sous les harangues des hommes. Elle se met à se moquer de cette histoire, et annonce en crachant à terre que pour lui plaire, le récitant doit raconter l'histoire la meilleure qui soit, la plus parfaite, et celle qui lui fera accepter de partager sa couche avec l'heureux gagnant. Un rire traverse l'assemblée, et un autre récitant reprend la parole.
Ces fêtes enjouées et païennes se déroulaient un peu partout dans ces royaumes, et les histoires qui en ressortaient étaient d'une telle diversité, d'une telle richesse, l'un rajoutant un monstre, l'autre la confrontation avec des dieux ou des esprits trompeurs, que le tout finissait par former un vaste corpus oral qui se diluait encore un peu plus lors des récits que ces grands voyageurs reprenaient sur mer lors des longues chevauchées. Les chants étaient basés sur des rythmiques très imagées mais, chacun enchaînant sur l'autre des paroles ponctuées d'insultes ou de louanges envers tels fait d'arme ou de copule, que les récits primitifs se voyaient très vite altérés ou transformés.
Le problème avec Beowulf est qu'il concerne principalement un personnage à la fois inique (il est un bâtard rejeté mais également un monstre ou plutôt phénomène de la nature) et fabuleux (il a des pouvoirs, sa mère appartient à une espèce magique). Notons une chose, le terme bâtard ne signifiait pas grand chose au regard de ces guerriers qui pratiquaient une polygamie sans borne, ce qui leur conféraient cette manière détachée et courageuse, d'aborder la vie et les dieux avec un humour dont est incapable le monothéisme des trois religions. Rien n'était bien sérieux pour un Viking, la mort même était absurde, ce qui comptait c'était les combats, les amours et les exploits avec les femmes consentantes des autres, qui étaient également consentants.
Beowulf, comme je disais, n'était donc pas un monstre rejeté, primitivement, mais bien un phénomène qui devait probablement rire de sa condition et rire du père qui l'avait engendré avec une mère issue d'une race fabuleuse. Le roi qui l'avait engendré ne vivait pas cela comme une punition, mais, tu seras surpris, comme un vol. La semence étant chose sacrée entre Viking, voir une femme d'une race étrange, et qui plus est, royale, la lui voler, sans rien donner en retour, voilà qu'elle était l'insulte, du moins au départ.
Cela justifiait quoi ?
Mais la guerre, voyons, et les quêtes. Le combat, enfin, entre un fils qu'une autre race avait volé et un père qui quêtait une bien curieuse dote...
Le pathétique, le dramatique, tout cela sera introduit par le christianisme, si bien qu'on se doit de mettre en doute non pas cet écrit authentique, mais la manière dont il a pris forme. Le récit originaire était donc bien alteré avec de devenir celui qu'on connaît.
Néanmoins, il y a un autre degré dans ce Beowulf. Cette signification double dans le monstre. Je crois que les récits oraux qui l'ont modelé jusqu'à cet écrit, ont rapporté deux choses essentielles, d'une part une sorte d'avertissement, un chant de mort, face à l'invasion de la nouvelle religion chrétienne sur leurs terres, et d'autre par, probablement le rapport d'une véritable histoire d'amour qui aurait été brisée par la naissance d'un être différent, pas un monstre, comme on a souvent tendance à le dire, mais un être qui aurait fomenté une sorte de subversion à la fois contre le pouvoir en place, mais en même temps contre un refus de reconnaissance, de filiation. Le monstre c'est celui qui fait oeuvre unique pour défaire un pouvoir, pas forcément un Quasimodo avec une mère fouettard, et qui fait ses caprices en frappant des pieds et des poings...
Beowulf fut un être exceptionnel, probablement, mais pas forcément un bâtard, un fils éconduit par le père. Cette interprétation est trop chrétienne, trop chargée de pathos. Le combat fut plutôt un duel entre un père et son fils, un fils exceptionnel, peut-être un géant pour son époque, mais pas un être difforme. A moins qu'il ne soit tout simplement un réel monstre qui aurait à la fois engendré d'une grande quête et d'un dessein subversif. En ce cas, il faut enlever à ce récit le côté affecté, le récit originaire devait être bien plus teinté d'ironie, de défis et de voyages, le fait de départ étant souvent pour les peuples du nord le faire valoir à une odyssée, un voyage durant lequel on mourrait et on découvrait des trésors, forniquait et riait, comme la vie qui passe. Monstre, démons, sorcières et merveilles servant également de faire valoir pour conférer à la quête des allures d'épopée...
Le cas des Wendols est beaucoup plus difficile à cerner puisque ils ont connu des appellations différentes. Même si Crichton les a inventé, le nom fait référence à des peuples très anciens, pas forcément Néanderthaliens mais apparentés à certaines peuplades celtes primitives, probablement issus d'ethnies orientales. Le philologue que je connaissais les nommait les Squalicht, terme adapté d'un autre plus ancien issu dde la langue germanique (mais impossible de retrouver le nom primitif que les allemands leur allouaient). Cela englobait diverses peuplades humaines mais issues probablement d'une ramure ancienne d'hommes sauvages inconnus. Le paradoxe pour ces peuples troglodytes sans véritables noms est qu'ils avaient beau n'être que de redoutables guerriers, cannibales et sanguinaires, ils étaient capables dans leur vie Troglodyte de former des sociétés extrêmement stables. Les traces sont infimes, seuls des récits convergent parfois pour dire qu'ils auraient vécu dans les contrées de l'Europe de l'est, dans la Scandinavie et l'ancienne Allemagne, et que même les celtes les redoutaient au plus au point. Je l'ai déjà signalé mais les Mongols étaient également terrifiés par une peuplade aux descriptions similaires...
Peut-être existe-t-il une souche commune à toutes ces tribus troglodytes (c'est le terme qui les identifiait le plus souvent) , car tout en cultivant un certain nomadisme, dès qu'ils élisaient un lieu de villégiature, ils s'enracinaient comme de véritables natifs. Mais à vrai dire on ne le saura jamais vraiment tant qu'on aura pas découvert de véritables sites pouvant les identifier plus précisément.
Les Wendols (on se contentera de ce terme) sont en cela fascinants qu'ils constituent un des rares cas de société matriarcale, ou du moins dirigée et fondée sur le culte de la déesse mère. Crichton dans son livre reprenant le récit originaire, et MacTiernan dans son film, en donne une stupéfiante illustration, probablement similaire ou la plus approchée de ce peuple ou de "ces peuples" appelés de façon différente selon les lieux qu'ils colonisaient. Maintenant, j'ai tout de même un doute sur le récit originaire à la base du livre de Crichton...
_________________ Kira se porte très bien, foutez lui la paix, Jen, quant à lui, est devenu sculpteur de créatures intempestives...
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