Bah, c'est un lien à priori historique, avec certains témoignages, pas ceux des premiers qui furent au contact direct avec une maladie totalement incurable, et qui sont tous morts. Je n'ai pas tout lu, mais la plupart datent des années 50/60, c'est trop tard....
La légende n'est en rien usurpé à mon sens, et comme je l'ai déjà dit, une légende mettant en scène des fantômes est bien plus intéressante pour l'histoire qui en a été faite, et la question fondamentale du silence, plutôt que de savoir si les faits sont réels ou non...
C'est une parole absente dont je pars pour étayer le fait que ce sanatorium est un cas fascinant pour mieux comprendre le début de ce 20 ème siècle barbare que nous allions connaître, c'est tout. Le reste relève de l'expérience personnelle... Et même s'il y a eu des séries de suicides inquiétants, et que les traitements aux malades au début se résumaient à de la pure boucherie, je reste sur un regard extérieur, sociologique, sur le cas du sanatorium.
J'aime beaucoup également le témoignage de ce dessinateur qui veut en faire une trilogie fantastique. Je pense que tout l'intérêt de ce sanatorium doit se situer entre le fait qu'il porte un emblème impliquant le soin, et cette mortalité dont personne ne voulait entendre parler. Le silence il est là, et les fantômes avec. Il y a de l'inconscient collectif dans cette histoire, même si beaucoup s'y rendant ont été parfois très troublés par certains phénomènes.
La croyance en elle même ne m'intéresse guère, ce qui est à mon sens essentiel est cette contradiction entre santé et mortalité automatique, dont le silence est un peu comme une injustice, presque une autre façon d'assassiner ces personnes, qui avaient tout de même une identité propre.
C'est là que se situe à mon sens l'horreur d'un tel univers, on y rentrait pour y être soigné, on en ressortait souvent les pieds devant. Et puis, il y a ce tunnel, beaucoup ont cimenté à son propos une croyance. En effet, il y a la fameuse symbolique du tunnel de lumière, et de l'au-delà. Un patient peut aussi cimenter dans un hôpital une symbolique de vie et de mort. Qu'ont donc pensé ces gens à propos de ce tunnel qui évacuait ses morts en cachette ou le plus normalement possible, vers les familles, c'est selon ? Ils ont, je pense solidifié une croyance autour, et la légende est née.
Je pense que toute l'horreur de Waverly Hills se situe entre le besoin de sauver la vie, et le rejet de l'inéluctable de la mort, du moins dans les premiers temps du complexe. Mon analyse tient donc la ligne, il faut s'attarder sur le regard qu'on porte non pas sur des faits avérés ou pas, mais bien sur le discours qui en est ressorti et qui s'est peu à peu enrichi en légendes et racontars. Les fantômes naissent parfois des mots et des pensées qui y apportent une foi, une croyance, c'est ce qui les rend parfois si... palpables.
Il est évident que, s'il y a eu des suicides, c'est qu'il devait bien y avoir un climat qui le permettait, comme tous ces enfants morts très jeunes. Les infirmières et médecins sont aussi des êtres humains. Et qui sait si, face à des milliers de morts, nous ne serions pas également à ce point affectés que nous nous suiciderions à notre tour ? Il y a probablement des liens qui se sont fait, des amitiés, voir même des amours. Les fantômes naissent parfois simplement de ces grandes injustices, celles de ne pouvoir sauver un être aimé ou apprécié, jeune de surcroit. Les lieux et les objets ont une mémoire, je pense que parfois ils nous la racontent, et la croyance populaire fait le reste. La thèse des fantômes tient donc toutes ses promesses... Quand aux horreurs qui s'y sont déroulées, la légende les a peut-être sublimé en des bandes de psychopathes ou des enfants qu'on torture, alors que ce ne devait être tout simplement que des hommes et des femmes, des enfants aussi, se battant contre la maladie. Transformer tout cela en quelque chose d'extraordinairement sauvage permet parfois de faire oublier la mort sans raison, face à un mal qu'on ne peut guérir. C'est cette impuissance qui fait parfois édifier les plus grands mythes, et qu'on retrouve parfois à propos de certains auteurs, qu'on veut réduire par exemple à une maltraitance originaire, et faire découler toute l'oeuvre, désormais " pathologique ", ou, bien au contraire des auteurs qu'on a besoin de magnifier pour en faire des personnages extraordinaires, ce qui est parfois le cas pour certains, malgré la bonne vieille volonté de notre époque de mettre tout le monde en conserve et réduire la fonction à l'organe, le talent et le don à la blessure originelle. Cette tendance moderne très fast-food est une néanmoins autre et scandaleuse horreur de notre temps, si prompt à édifier des carcans et des prisons, même en littérature.
Pour waverly Hills, la chose peut être vue de la même manière, par le biais du silence. Est-ce vrai ou faux ? Est-ce exagéré ou pas ? Le fait est qu'il y a une blessure, puis un silence, mais que c'est en des proportions tellement inacceptables qu'on va parler de meurtres ou de mauvais traitements, alors qu'il y avait peut-être simplement qu'un combat collectif contre un mal sans issue, un peu comme un combat d'un père et d'un fils, qui ne se comprennent pas, quand au mal psychologique du fils. Ce qui au début du 20 ème siècle pouvait se résumer à la même impuissance et à la même colère, et qui ne pouvait se traduire que par un silence et des récits pleins de violence. Ce qui ne veut pas dire non plus qu'il n'y ait pas eu autre chose. C'est la nuance qu'oublie le plus notre époque, dont la pensée marque un retour à un certain consumérisme et à une automatisation de la culture, non pas seulement concernant le savoir et la création, mais aussi sur les hommes qui les engendrent et les pensent, et c'est bien plus grave, si on me permet cette parenthèse...
Voilà comment je vois le cas de Waverly Hills, une histoire de fantômes toujours en luttes contre le mal, et qui recommencent à jamais les mêmes gestes, hantent les derniers lieux, portent le même silence qu'ils ont gardé à une époque où il ne fallait pas parler des morts mais toujours de la vie, même si les survivants furent bien moindre. Le silence se situe là, et l'horreur, dans les moyens désespérés pour sauver des enfants, des femmes et des hommes d'un fléau qu'on ne devait surtout pas reprocher à Dieu, car cela aurait été un blasphème et une atteinte à une société fondée justement sur Dieu et ses promesses. Car pour le bien collectif, il ne fallait pas montrer l'hécatombe des morts, et ne laisser passer que la pleine santé, la joie, la guérison et la perfection, à moins que ce ne soit l'image d'une société parfaite, sans mort, une société propre ???
A vous d'y réfléchir, mais je pense ne pas me tromper en avançant que ces lieux, comme beaucoup d'autres, sont bel et bien hantés, mais par des mémoires, les âmes, s'il y a, sont bien ailleurs, et c'est là toute la félicité qu'on peut leur souhaiter, du moins si on est croyant...
