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MÉTHODOLOGIE
Problèmes de mesure
En général, les évaluations en matière de paralysie du sommeil sont effectuées en donnant une courte description du phénomène, description suivie d'une question demandant aux personnes interrogées si elles ont déjà connu une expérience similaire (Fukuda et al., 1998 : Spanos, et al., 1995). Cette description relate plusieurs hallucinations connues et mentionne en outre que le sujet peut ouvrir les yeux et scruter la pièce dans laquelle il se trouve. Une telle approche risque de donner aux participants l'impression que ces traits sont caractéristiques de la paralysie du sommeil. Or, lors de cet épisode, certaines personnes peuvent être tout à fait incapables d'ouvrir les yeux et peuvent même s'en empêcher. En outre, la description de symptômes supplémentaires peut donner à ces expériences un aspect plus « extrême » que celles réellement éprouvées par les personnes interrogées, ce qui risque par conséquent d'inhiber certaines réponses positives. Norton, Cox et Malan (1992) abordent un problème semblable dans le cadre de l'évaluation des crises de panique, en affirmant que toute description réduit fortement la tendance d'un individu à expliquer son propre sentiment de panique. D'une part, l'on peut prétendre que l'ajout d'une description permet aux personnes interrogées de fournir une réponse mieux éclairée. De l'autre, lorsqu'une description paradigmatique complète est fournie, les personnes ayant connu des formes partielles ou atténuées de l'expérience en question risquent de ne pas parler du tout. Par ailleurs, une description détaillée pourrait pousser certaines personnes à ajouter des détails, voire même à inventer, de sorte que leur propre expérience se rapproche le plus possible de ce qu'ils pensent être un récit « correct » du phénomène. Dans notre étude, l'état de paralysie n'est associé à la paralysie du sommeil que dans l'énoncé accompagnant la première question :
Parfois, au moment de l'endormissement ou du réveil, certaines personnes peuvent, pendant un bref moment, être incapables de bouger, même si elles sont tout à fait conscientes et éveillées.
Nous avons évité l'emploi du mot « paralysie » souvent utilisé dans ce contexte, car les connotations de gravité qui lui sont associées risqueraient de diminuer fortement le taux de réponse. D'autres questions portent sur l'impression de présence ainsi que les sensations de pression sur la poitrine ou sur d'autres parties du corps, de flottement ou d'apesanteur, les impressions auditives et visuelles, ainsi que la manifestation de certaines émotions : colère, joie, peur, douleur et tristesse. Toutes ces questions ont été formulées en évitant soigneusement de suggérer un type d'expérience bien particulier. Par exemple, la question concernant les sensations auditives mentionne simplement la perception possible de sons. Une zone libre supplémentaire a été prévue pour permettre aux participants de fournir des détails sur leurs propres expériences. En posant les questions relatives aux expériences hallucinatoires de façon distinctive, nous avons pu analyser leur prévalence et les relations les liant les unes aux autres.
Protocole
L'analyse a été effectuée sur trois grandes classes d'étudiants en première année de psychologie, et ce sur trois trimestres. 870 cas valides ont été retenus (488 du sexe féminin et 382 du sexe masculin). Quatorze cas ont été rejetés : les participants concernés n'avaient pas rempli le questionnaire complètement, ne s'étaient pas correctement identifiés et/ou avaient manifestement mal compris certaines questions. Les participants ont lu la description de la paralysie du sommeil fournie plus haut et ont indiqué la fréquence approximative de leur(s) expérience(s) (Jamais, Une seule fois, Deux à cinq fois, Plus de cinq fois). Une échelle de fréquence a également été utilisée pour chaque expérience hallucinatoire. Lors d'une question ultérieure, nous avons également demandé aux participants s'ils avaient déjà parlé de leur expérience à un tiers.
RÉSULTATS
Sur 870 participants, 254 (29 %) ont indiqué avoir connu au moins un cas de paralysie du sommeil. Aucune différence d'âge significative n'a été remarquée entre les personnes de l'échantillon ayant expérimenté une paralysie du sommeil (âge moyen : 19,91 ans ; écart type : 2,60 ans) et celles qui n'en ont jamais connue (âge moyen : 19,62 ans ; écart type : 2,56 ans). De même, il n'y a pas de différence marquante quant à leur sexe (31 % de femmes ont signalé avoir vécu une telle expérience, contre 28 % d'hommes). Les données relatives aux sujets ayant répondu positivement ont été sélectionnées pour une analyse plus approfondie. Le tableau 1 ci-dessous, présente la fréquence de chaque expérience hallucinatoire et du sentiment de peur.
Tableau 1
Fréquences et proportions des personnes sujettes à une paralysie du sommeil et des expériences hallucinatoires qui lui sont associées
Fréquence
Proportion
Immobilité
Jamais
Une seule fois
2 à 5 fois
5 fois
616
70
109
75
0,71
0,08
0,13
0,09
Expériences hallucinatoires
Impression de présence
130
0,15
Pression sur le corps
106
0,12
Flottement
93
0,11
Sons
99
0,12
Forme visible
75
0,09
Peur
117
0,14
Remarque. N= 870
L'expérience la plus fréquente est l'impression de présence et la moins fréquente, les hallucinations visuelles. La peur est de loin l'émotion la plus fréquemment signalée. Environ la moitié des personnes ayant vécu un ou plusieurs épisodes de paralysie du sommeil ont indiqué avoir ressenti de la peur au moins une fois. Quant aux autres émotions, chacune d'entre elles a été ressentie par au maximum 6 % de celles-ci.
Seuls 45 % de ces participants ont déclaré avoir déjà raconté leur expérience à un tiers, presque toujours à des amis ou à un membre de leur famille. Deux d'entre eux ont déclaré en avoir parlé à un médecin. La plupart ont par contre avoué ne jamais en avoir fait part à personne, de crainte de passer pour « fou ». Un grand nombre des personnes s'étant confiées à des amis ont déclaré avoir dû effectivement faire face à de telles réactions.
Analyse des items
Un résultat a été calculé par participant pour chaque expérience en attribuant respectivement les notes 0, 1, 2 ou 3 aux réponses Jamais, Une seule fois, Deux à cinq fois, Plus de cinq fois. Le tableau 2 illustre les relations entre les diverses expériences. Toutes étaient positives et significatives. Les cinq expériences hallucinatoires présentent une cohérence interne modérée, a = 0,75.
Tableau 2
Corrélations produit-moment de Pearson entre les mesures de fréquence des expériences hallucinatoires pour les personnes interrogées ayant témoigné d'au moins un épisode de paralysie du sommeil
Expérience
Impression de
présence
Visuelle
Auditive
Pression
Flottement
Peur
Impression de présence
1,06
(1,26)
0,43
0,42
0,37
0,25
0,56
Visuelle
0,50
(0,88)
0,40
0,42
0,37
0,47
Auditive
0,77
(1,12)
0,38
0,25
0,37
Pression
0,86
(1,19)
0,32
0,34
Flottement
0,67
(1,04)
0,20
Peur
0,47
(0,50)
Remarques : Toutes les corrélations sont significatives lorsque p < 0,05. Les moyennes (soulignées) et les écarts types (entre parenthèses) apparaissent en diagonale, N= 254.
Un résultat global a été calculé pour les expériences hallucinatoires en additionnant les résultats des différentes expériences prises séparément. Le résultat total était lié de façon significative à des témoignages de peur, r(252) = 0,56, p < 0,001. En outre, chaque expérience individuelle était également liée de façon significative à la peur (voir tableau 2). Une régression multiple effectuée en entrant les expériences hallucinatoires comme variables prédictives de la peur a cependant montré que seules l'impression de présence (b = 0,40, t(248) = 6,85, p < 0,001) et les hallucinations visuelles (b = 0,24, t (248) = 3,95, p < 0,001) étaient associées de manière unique à la peur.
Une interprétation possible des résultats de cette régression multiple est que l'impression de présence et les hallucinations visuelles entraînent la peur de façon indépendante. Par ailleurs, l'impression de présence peut entraîner une sensation de peur qui conduit la personne à essayer de clarifier (parfois tout à fait inconsciemment) la source de la présence invisible. Ce dernier modèle semble particulièrement plausible au vu de la corrélation comparativement forte qui existe entre l'impression de présence et le sentiment de peur (voir tableau 2). Cette association est restée significative lors du contrôle de toutes les autres expériences, pr (248) = 0,44, p < 0,001. Si une impression de présence entraîne une réaction émotionnelle de peur qui, à son tour, déclenche des hallucinations, alors un test statistique considérant la peur comme médiateur de la relation entre l'impression de présence et les hallucinations qui s'ensuivent est approprié. Baron et Kenny (1986) ont défini trois critères pour établir la médiation. Premièrement, la variable indépendante (impression de présence) doit prédire la variance au niveau du médiateur (la peur) : cet aspect a été démontré. Deuxièmement, la variable indépendante doit permettre d'expliquer la variation de la variable dépendante (les hallucinations visuelles). Cet aspect a lui aussi été démontré. Finalement, lorsque la variable indépendante et le médiateur sont intégrés simultanément dans une analyse de régression, le médiateur doit permettre d'expliquer toute variance significative au niveau de la variable dépendante. Une analyse de régression a démontré à la fois un effet direct de l'impression de présence , b0,25, t(251) = 4,96, p < 0,001, et une médiation partielle par la peur, b0,33, t(251) = 3,83, p < 0,001.
Si le modèle ci-dessus est correct, l'impression de présence devrait se manifester au début de la séquence d'événements et les hallucinations visuelles devraient intervenir plus tard, la peur apparaissant entre les deux. Bien qu'il soit impossible de reconstituer directement la séquence des événements, le nombre d'éléments présents dans un compte rendu donné peut nous donner certains indices. Différents épisodes de paralysie du sommeil consistent en différentes combinaisons d'expériences. S'il existe une séquence hiérarchique des événements, alors les événements apparaissant au début devraient pouvoir être regroupés avec un petit nombre d'autres événements de début de séquence. Ainsi, si l'impression de présence survient dès le début, la majorité des témoignages devraient faire état d'un nombre réduit d'autres expériences au même moment. Par exemple, quelle est la fréquence de l'impression de présence selon que l'individu a connu une, deux, trois, quatre ou cinq expériences ? Inversement, les hallucinations visuelles, si elles interviennent plus tard dans la séquence, devraient s'accompagner plus souvent d'un grand nombre d'autres expériences. Pour tester ces hypothèses, une analyse du khi-carré a été menée sur le tableau croisé de la fréquence de certaines expériences bien spécifiques et du nombre d'expériences différentes rapportées. Cette analyse a montré que toutes les expériences individuelles n'augmentaient pas de façon identique à mesure que le nombre total d'expériences augmentait, c2(20, N = 455) = 38,38, p< 0,008. Conformément à l'hypothèse émise, l'impression de présence pour des combinaisons de cinq expériences était beaucoup moins fréquente qu'elle n'avait de probabilités de l'être (z = -2,14, p < 0,01) et les hallucinations visuelles étaient par contre nettement plus fréquentes (z = 2,83, p < 0,01, voir figure 1).