j'ai me bien aussi ce que tu écris, Alecto. la nouvelle, surtout!
Voici un petit texte sur lequel les avis seraient bienvenus...:
Camp militaire de Birstein, 1938
Le temps était pluvieux. Maja détourna la tête de la fenêtre de l’infirmerie où elle était depuis une semaine. Les sept autres lits étaient vides, leur rideaux tirés dévoilant les matelas nus. Son lit étroit au cadre de métal était le plus proche de la fenêtre. A côté se trouvait une table de chevet, de métal elle aussi, sur laquelle un verre avec un bouquet de fleurs des champs avaient été mis là par elle ne savait qui pendant qu‘elle dormait. Elle sourit en regardant le millepertuis aux jolies fleurs jaunes et aux feuilles percées de mille trous. Sa fleur préférée. Elle devinait qui lui avait fait ce présent. Ivor. L’homme qu’elle aimait.
Une semaine plus tôt, dans la salle d’entraînement où ils s’affrontaient en combat à mains nues, elle avait eu un malaise. Cela ne lui était jamais arrivé auparavant. Elle s’était évanouie alors que, au bord de l’épais tapis sur lequel ils combattaient, elle attendait son tour en devisant de banalités avec son amie Marge, jolie femme aux yeux violets bordés de longs cils bruns et à la silhouette pulpeuse. Mais il ne fallait pas s’y fier : Marge était une combattante hors-pair, comme eux tous. Elle avait croisé le regard gris de Virna, une autre femme qui faisait partie de leur groupe et avec laquelle elle ne parvenait pas à s’entendre, et puis plus rien. Elle s’était réveillée quelques jours plus tard. Le médecin avait semblé plutôt inquiet, lui avait-on raconté, et avait même fait appel à du personnel médical extérieur au camp. Mais elle était tirée d’affaire, avait assuré le docteur Lacker, et pourrait certainement sortir dans la journée, avait-il ajouté, voyant combien elle était impatiente, maintenant qu‘elle se sentait mieux. A cette heure, au milieu de la matinée, Ivor devait être à l’entraînement, avec les autres. Il passerait la voir durant la pause du déjeuner, comme il le faisait depuis qu’elle était tombée, après avoir eu l’impression qu’une lumière verte lui dévorait le crâne.
C’était le dernier souvenir qu’elle avait. Après, le noir avait remplacé le vert et elle ne se rappelait rien. Elle avait eu peur, lorsqu’elle s’était réveillée, dans la salle d’opération remplie de monde et de matériel médical dont elle était bien incapable de deviner la fonction. Le docteur Lacker était près d’elle, très pâle. Il lui avait pris délicatement la main et elle avait compris à ce moment qu’elle était passée très près de la mort. Aujourd’hui encore, elle se sentait faible et vaguement nauséeuse. Le docteur n’avait pu lui expliquer les causes de son malaise, ni à quoi était dû cette lumière verte dans son crâne. Il y avait aussi ce fourmillement bizarre à la base de sa colonne vertébrale. Elle avait le souvenir de gens en blouse blanche autour d’elle, infirmières et médecins étrangers au camp, et de piqûres à cet endroit. Le fourmillement était sans doutes lié au traitement qu’ils lui avaient administré pour la sauver. Elle en parlerait au docteur, avant de sortir. En attendant Ivor, elle s’habilla et tenta de se rendre présentable avec les maigres affaires de toilette de l’infirmerie. Heureusement, ses cheveux courts et roux, légèrement ondulés, n’eurent besoin que d’un rapide coup de peigne humide pour prendre la forme qu’elle aimait, lissés sur l’avant de sa tête et ébouriffés à l‘arrière. C’était sa pâleur et surtout ses cernes qui la gênaient. Elle se mordit les lèvres, qu’elle avait charnues et bien dessinées, pour les rendre plus rouges. Ivor l’avait vue couverte de boue et tombant de sommeil après deux jours passés à manœuvrer dans les bois. Il ne se formaliserait pas de ses cernes. Après quelques nuits de bon sommeil, il n’y paraîtrait plus! Elle regarda dans la glace ses yeux verts, en amande, surmontés de sourcils fins, arqués, son visage triangulaire au front haut et au menton qu‘elle trouvait trop pointu. Mais, prise d’un léger vertige, elle retourna s’allonger. Il était encore tôt, autant en profiter pour se reposer!
Elle fut réveillée par des bruits de pas dans le couloir. Ivor! Enfin! Elle se frotta les yeux, et pinça ses joues et ses lèvres pour se donner quelques couleurs avant de se redresser sur le lit. Elle constata, soulagée, qu’elle n’avait plus de vertiges, du moins tant qu’elle était assise. Pour être honnête, elle ne se sentait pas très bien mais elle avait hâte de quitter cette pièce et de retrouver ses compagnons. Cette après-midi, ils travaillaient avec les chiens. Elle n’aurait pas beaucoup d’efforts physiques à fournir. Fugitivement, elle pensa à la guerre qui se préparait et au malaise que cela lui inspirait. Depuis l’accession au pouvoir de Hitler, elle n’aimait pas la tournure des évènements. Ni pour l’Allemagne, ni pour le monde, si le Furher réalisait ses plans.
Ici, malgré le fait que cela fut un camp de l’armée nazie, ils étaient isolés, comme hors du monde. Elle n’était pas SS. Les SS n’acceptaient pas de femmes. Leur mission à eux douze était toute différente, se répéta-t-elle pour la centième fois. Ils n’étaient pas destinés à faire la guerre mais à…Autre chose. Ils s’entraînaient dans le plus grand secret, dans cette base reculée, depuis plusieurs années maintenant. Leur but n’était pas tant de se battre, que de comprendre scientifiquement ce qui faisait un bon combattant. C’était dans ce but que l’armée avait mis ce camp à leur disposition et fourni tout le matériel dont-ils avaient besoin. Une fois de plus, Maja s’interrogea sur ce qu’ils étaient réellement. Leur organisation, leur entraînement, tout était militaire… Mais pour quelle armée, en réalité? Aussi doués fussent-ils, ils ne sortiraient pas du centre de Birstein pour faire la guerre… Ils étaient douze à avoir été choisi par cet homme qu’ils n’avaient jamais vu et qui se faisait appeler Wotan. Ils participaient pour lui au Projet Fenrir. Mais au fond, ils ignoraient beaucoup de choses. Ils ignoraient par exemple pourquoi Wotan les avait choisis eux. Ils étaient tous orphelins et jeunes, doués pour le combat, mais c’était bien tout ce qu’ils avaient en commun. Cependant, elle se plaisait à Birstein. Elle s’y sentait chez elle, à son aise, elle qui avait passé les premières années de sa vie dans un orphelinat… Et puis, ici, elle était avec Ivor.
Le jeune homme entra, suivi du docteur Lacker. Elle le trouvait beau. Grand, fin, il avait les cheveux bruns, coupés courts. Ses yeux verts, surmontés de sourcils droits et noirs, avaient la même couleur que le feuillage des arbres, au printemps. Ses pommettes hautes, la fossette qu’il avait au menton et celle qui se dessinait sur sa joue quand il souriant, tout en lui plaisait à la jeune femme. Elle se leva pour aller à la rencontre des deux hommes, vacillant un peu sur ses jambes, mais réussissant à le cacher. Elle leur sourit :
« -Alors c’est bon? Je peux sortir, docteur? »
Embarrassé, le docteur la détailla un moment. Lui trouvant des couleurs, il n’eut pas le cœur de décevoir la jeune femme :
« -Oui, je vais vous laisser sortir. Mais si vous ressentez des maux de tête, des vertiges ou…Quoi que ça soit d’autre, surtout, revenez! Nous ne voudrions pas vous perdre, frau Von Hoften… »
Elle lui sourit, découvrant ses jolies dents bien alignées et se blottit dans les bras de son compagnon qui la serra contre lui en lui embrassant les cheveux. Le fourmillement attendrait un peu. Elle eut peur, si elle en parlait maintenant, que lacker changeât d’avis et ne voulut lui faire passer d’autres examens, retardant sa sortie. Elle avait besoin de respirer!
Riant tous les deux, Ivor et Maja sortirent après avoir dit au revoir à Lacker et se rendirent au mess où ils avaient juste le temps de prendre une rapide collation avant l’entrainement de l’après-midi. Maja n’avait pas faim, assise à côté d’Ivor, entourée de leurs amis. Elle se força à sourire et grignota un peu de pain. Elle commençait à avoir mal à la tête. Les autres avaient fini leur repas. Tous sortirent.
Dans le grand champs, à l’écart de ses compagnons, Maja se sentait nerveuse. Elle avait maintenant très mal à la tête et le fourmillement à la base de sa colonne vertébrale s’était amplifié. Elle hésita un moment à retourner voir Lacker, mais, déjà, on amenait les chiens. Si elle se sentait trop mal, elle arrêterait. On lui amena sa chienne, Balka, une magnifique bête, docile et affectueuse. Mais au lieu de se frotter contre elle, lui donnant de grands coups de langues sur les mains en réclamant des caresses, la chienne grogna, les poils hérissés, refusant d‘approcher la jeune femme. « Je suis trop nerveuse! », se dit Maja. Un instant, elle regarda les autres qui s’étaient déjà mis au travail, faisant obéir leur chien sans difficulté. Virna croisa son regard, occupée à faire effectuer à son chien un parcours au cours duquel il devait sauter plusieurs haies d’affilée. Le fourmillement se fit plus fort. Elle ne pourrait visiblement rien faire de bon aujourd‘hui.
Elle interpella Ivor et lui dit qu’elle retournait voir le docteur Lacker. Le jeune homme lui proposa de l’accompagner mais elle refusa, répugnant à se montrer en état de faiblesse à l’homme qu’elle aimait. Préoccupé la main négligemment posée sur la tête du chien-loup assis à côté de lui, il la regarda partir. Il aurait dû lui parler, la prévenir de ce que Lacker avait fait.
Au lieu de se diriger vers l’infirmerie, Maja obliqua vers la forêt. Elle s’arrêta devant la haute clôture de grillage, se tenant maintenant la tête à deux mains. Le fourmillement était devenu atroce et remontait à toute vitesse le long de sa colonne. Pourquoi avait-elle quitté l’infirmerie? Elle n’allait pas bien du tout! Arrivant de sa nuque, un lumière verte lui emplit bientôt la tête, obscurcissant sa vision. La douleur fut fulgurante. La jeune femme tomba sur les genoux, se tenant toujours les tempes, en criant. Puis le vert fit place au noir et elle perdit connaissance.
Elle ouvrit les yeux. Le mal de tête avait disparu. La lumière verte également. Elle sentait le soleil et le vent sur la peau nue de ses bras. Les oiseaux chantaient au loin. Mais autour d‘elle, c‘était le silence. Elle se redressa précautionneusement. Elle n’avait plus mal, et les vertiges avaient disparu eux aussi. Elle se demanda combien de temps elle était restée inconsciente. Pas très longtemps à en juger par la position du soleil. Elle se releva complètement et regarda autour d’elle, un peu désorientée. Elle se rappelait avoir été en route pour l’infirmerie. Elle se figea : la clôture était déformée. Le grillage était tordu, comme fondu, sur toute la portion qu’elle voyait et même arraché par endroits. De la fumée, épaisse et noire s’élevait du camp. Une odeur de caoutchouc, de bois brûlés parvenait jusqu’à elle. Que s’était-il donc passé? Maja courut, prise d’un affreux pressentiment.
Tout était détruit! Des cadavres jonchaient le sol. Les cuisiniers, les maîtres chiens et leurs animaux et…Ses compagnons! Ils avaient été attaqués, la guerre avait éclaté!
« Ivor… »
Elle l’appela et le chercha partout, fouillant les décombres fumants. Quelqu’un courait derrière elle. Elle fit volte-face. C’était lui! C’était lui mais…Il la visait avec son arme. Elle voulut aller vers lui, le prendre dans ses bras, soulagée qu’il n’ait pas été tué. Il l’arrêta :
«-Ne bouge pas! Comment as-tu fait ça?
-De quoi tu parles?
-Tu as tout détruit! Tu les as tous tués? Comment t’as fait?
-Moi? Tu délires, Ivor! Je me suis évanouie près de la clôture, là-bas… »,
Elle accompagna sa phrase d’un geste de la main pour montrer où elle se trouvait.
« -Je t’ai dis de ne pas bouger! Lacker avait raison! Il m’avait dit de te surveiller! Tu es dangereuse! Tu es…Un monstre! »
Ivor arma son pistolet et la mit en joue.
« -Ivor qu’est-ce que tu fais? C’est moi, Maja! Je ne comprends rien à ce que tu racontes, rien à ce qui se passe! Qui nous a attaqué? Qu‘a dit Lacker?»
Le jeune homme ne l’écoutait pas. Il l’avait vue, se promenant dans le camp, semant la mort et la destruction, entourée d’un étrange halo verdâtre qui semblait émaner d’elle. Les gens mouraient sur son passage, comme foudroyée. Il n’avait rien pu faire. Elle était dangereuse! La Maja qu’il aimait n’existait plus et il devait détruire cette créature avant qu’elle ne le tue. Il évita de regarder les yeux verts qu’il aimait tant, les traits fins, le visage triangulaire, tout ce qui, le matin encore, faisait battre plus fort son cœur. Il visa le front de la jeune femme et tira.
Elle ne bougea pas. Un froid qui venait de l’intérieur de son corps la recouvrait entièrement. Ivor voulait la tuer. L’homme qu’elle aimait ne l’avait pas même écoutée. Elle allait mourir de la main de son amant et elle ignorait pourquoi.
La lumière verte sortit des yeux de Maja, arrêtant la balle qui fit demi-tour, à pleine vitesse, touchant Ivor à la poitrine. Le jeune homme lâcha son arme et tomba à la renverse. Surpris, incapable de bouger, il fixa le ciel bleu au-dessus de lui. Son cœur cessa de battre.
Hébétée, Maja le regarda tomber, comme au ralenti. Incapable de réagir, d’aller vers lui, l’horreur la frappait de plein fouet. La poitrine contre laquelle encore le matin elle rêvait de se blottir se souleva faiblement une fois, deux fois, puis ne bougea plus. Ivor avait raison. Elle avait tout détruit.
Comme un fantôme, elle tourna les talons et s’enfonça dans les bois sans but, sans raison. Juste mettre un pied devant l’autre. Maja Von Hoften était morte…