Bien le bonjour cher Abiff. Et désolé de ce contre-temps.
Hiram Abiff a écrit:
Il y a quelques mises au point à faire.
La thèse psycho-sociale (TPS) et la thèse Magonia (TM) sont issues d’un même questionnement, à savoir pourquoi les observations ufologiques ont tendance à révéler des éléments socio-culturels alors que l’on devrait s’attendre à rencontrer l’altérité complète (c.-à-d. des non-humains).
Peut-être… Sauf que la thèse Magonia relève et ne réchigne pas devant l'improbable et l'absurde. L'enquête de John Keel sur les événements de Mont Pleasant en Virginie en 1968,
The Mothman Prophecies, est un ouvrage classique du genre.
Citation:
La TPS est en effet très pauvre à la fois d’un point de vue théorique et empirique. Pour une critique dévastatrice de la TPS en français, voir l’ouvrage de Michel Picard “Les OVNI: laboratoire du futur”.
A mon tour, je vous recommande la lecture des travaux du sociologue Pierre Lagrange. Plusieurs de ses textes sont disponibles en ligne. Il a aussi écrit l'ouvrage,
La rumeur de Roswell (que je n'ai pas lu) et dirigé un numéro spécial du périodique
Ethnologie française au sujet de l'anthropologie des extraterrestres.
Citation:
Il important, cependant, de regarder plus en profondeur pourquoi l’analyse scientifique traditionnelle est sans issue. D’abord, les analyses qui se veulent objectives ne peuvent pas l’être. La source de leur données est subjective de par la nature propre des données: témoins disparates et involontaires, souvent dans un état altéré de conscience (ce que Jenny Randles appelle le “facteur Oz”). Ensuite, l’analyse scientifique traditionnelle implique un certain contrôle des variables, alors que dans le cas de l’ufologie il n’y a aucun contrôle possible sur le phénomène observé, les observateurs, ou l’environnement. Bref, nous sommes en système complètement ouvert.
L'ufologie est une science - pour autant que l'on puisse parler de science - de la
trace. Le phénomène étant furtif et insaisissable, les ufologues ne peuvent l'étudier directement et à sa source, ils ne peuvent qu'en étudier les signes de son passage et de sa présence antérieure. Et si nombre de ces signes témoignent de la matérialité du phénomène, les ufologues travaillent (ou ont à travailler) d'abord et avant tout avec des
témoins, et non avec des objets volants. Dans ces conditions, une approche anthropologique du phénomène m'apparaît nécessaire et prioritaire.
Citation:
Dans des situations de systèmes ouverts, une méthodologie souvent utilisée est celle de l’étude de cas. Mais encore faut-il savoir l’utiliser. L’étude de cas ne peut pas servir à développer des patterns statistiques. Il est impossible de faire de la statistique descriptive ou inférentielle parce que on ne sait même de quoi est fait la population de données. Bref, une accumulation de cas ne donne pas de validité quantitative.
Hum… on peut néanmoins y déceler des cas de figure (ou comme vous le dites plus bas, construire des "patterns qualitatifs"), en chercher la récurrence et en calculer les fréquences.
Citation:
La force des études de cas est dans la logique interne qui pourrait se révéler dans chaque cas particulier. Ainsi, on peut construire des patterns qualitatifs, mais ces derniers ne peuvent se vérifier que dans le cadre d’une théorie ou au moins d’un schéma d’explication plus général. C’est essentiellement ce qu’a fait Jacques Vallée dans son ouvrage Magonia. Mais cette méthodologie a ses limites dans la mesure où on ne peut pas développer de validité externe. L’archéologie, qui est comparable à l’ufologie en terme de système ouvert et de cas unique (on ne peut déblayer un site archéologique qu’une seule fois), peut toujours se référer à notre commune humanité pour comprendre pourquoi nos ancêtres faisaient ceci ou cela. La validité externe est possible. Pour l’ufologie, nous ne savons même pas ce à quoi nous avons affaire. Ainsi, pour l’ufologie la validité externe demeure hors d’atteinte via les études de cas.
Et alors ? Ne mettons pas la charrue avant les bœufs. La théorie est un produit, elle vient après, pas avant. C'est d'abord en construisant et en relevant la fréquence de ces patterns que l'on peut éventuellement élaborer des modèles explicatifs ou descriptifs.
Une théorie permet de tenir ensemble un grand nombre de cas (c'est le secret de sa force). Cherchons d'abord à construire différents types d'association entre les cas avant de s'inquiéter de validité externe.
D'ailleurs, les théories, ou devrais-je dire les hypothèses spéculatives, abondent déjà amplement. Ce qui leur fait défaut, c'est qu'elles en restent justement à ce stade spéculatif : elles ne semblent pas inspirer des questions recherchables ou des dispositifs de recherche. A titre d'analogie, ces activités spéculatives, contemplatives, logothéoriques, sont du même ordre que les discussions entre lettrés du moyen-âge sur le sexe des anges ou sur les desseins du bon Dieu suite à l'observation d'un phénomène céleste quelconque. Oui, c'est intéressant, c'est intellectuellement agréable et tout mais ce n'est pas de la recherche.
De même, bien que j'aime aussi spéculer sur le phénomène ovni et que j'apprécie la présente discussion, force est de reconnaître que nous ne faisons pas de recherche en ce moment et que nous ne percerons pas le mystère ufologique sur ce fil !
Citation:
Je pense que l’ufologie doit faire cette rupture épistémologie pour sortir de l’impasse. Nous devons accepter que les modèles issues des sciences physiques ou sociales ne sont pas appropriés à l’objet sous étude, et que l’accumulation de cas, qui peut être un hobby plaisant, est sans grande utilité s’il n’y a pas de théorie pour les valider. Je voudrais souligner, en revanche, que je ne supporte pas la régression de l’ufologie vers des schèmes religieux d’explications. La nécessité d’adhéré à une foi pour expliquer ne permet pas de faire de rupture épistémologie, ni de créer les conditions nécessaires pour développer un champ de savoir où de véritables débats de fond peuvent se produire. Cette régression de l’ufologie vers le religieux est une des raisons qui ont poussées des pionniers comme Jacques Vallée à lancer la serviette.
La spéculation théorique est aussi un hobby... Je ne saisis pas trop ce que vous voulez dire au sujet de la "
régression de l’ufologie vers des schèmes religieux d’explications". Pouvez-vous élaborer ?
Citation:
S’il y a un avenir pour l’ufologie, je crois que nous devrions commencer à le développer dès maintenant pour sortir de l’impasse. Pour ce faire, je pense qu’il faut repenser non seulement les catégories, et les schémas explicatifs utilisés, mais aussi la nature même des possibilités d’explication du phénomène, ou comme le dirait les philosophes, il faut repenser certains fondements épistémologiques. Bref, il faudrait commencer à regarder ailleurs.
Où ?
En passant, bien qu'Aimé Michel partageait la position de Vallée, il était en désaccord avec lui sur la possibilité d'expliquer le phénomène. Nous serions devant celui-ci comme un chien devant la physique quantique. Tout comme le chien ne pourra jamais comprendre celle-ci parce qu'il en est psychiquement incapable, nous sommes condamnés à tourner en rond devant le phénomène ovni parce que sa compréhension se situe au delà de ce dont est capable notre propre psyché.
C'est une question non résolue. Pour ma part, j'ose croire que nous pourrons parvenir à la compréhension du phénomène.
Citation:
On peut aussi souligner le projet Anamnesis, dirigé par l’autrichien Alex Keul, qui pour une rare fois dans l’histoire de l’ufologie voit un chercheur s’intéresser aux témoins eux-même. Ses enquêtes ont tenté de développer un profil sociologique des témoins d’OVNI, dans le but de vérifier certains éléments de la thèse psycho-sociale (TPS). A sa grande surprise, il n’y aucun pattern qui émerge en terme de sexe, age, niveau de revenu, etc. Le seul facteur significatif qui est relevé est la prépondérance d’expériences avec le paranormal chez les témoins.
Intéressant. Cela fait écho aux travaux de Michael Persinger sur les perturbations du champ magnétique lors de la manifestation de phénomènes étranges (ovni, poltergeist, fantômes, entités diverses, etc.). Je pense qu'il s'agit là, d'un élément du phénomène, de son point d'entrée… mais il faut prendre garde aux dérives réductionnistes. A ce sujet, veuillez consulter le fil suivant, "Paranormal et dopamine" :
http://www.paranormal-fr.net/chat-et-fo ... -3409.htmlCitation:
Soulignons encore les travaux de John Keel, qui démontrent que les observations ufologiques sont souvent accompagnés, dans une même région, d’observations paranormales par d’autres témoins.
Il me semble y avoir assez d’éléments pour suggérer que l’ufologie devraient intégrer dans ses schémas explicatifs l’analyse des phénomènes psi. Le malheur est que les phénomènes psi sont tout aussi mal compris que la question OVNI. La parapsychologie a réussi à démontrer, sans doute raisonable, qu’il y avait un phénomène réel, mais sans avoir aucune idée de la nature de ce qui est observé.
D'où d'ailleurs, l'une des raisons du scientisme et de l'obsession épistémologique des partisans de la TET orthodoxe. Ces derniers voient d'un très mauvais œil ces manifestations "paranormales" accompagnant leur objet d’étude. C'est non seulement embêtant quand on ne se préoccupe que de tôle et boulons, c'est aussi gênant quand on cherche à joindre les rangs de la science normale et à convaincre l'establishment scientifique de la légitimité de son objet d'étude et du sérieux de ses recherches. Pendant que tous taisent et dissimulent systématiquement l'occurrence de ce type de phénomène autour des observations recensées, plusieurs cherchent aussi à épurer l'ufologie des recherches impures qui, en les prenant en compte, en menacent le sérieux.
Citation:
Cette autre réalité qui s’exprime à travers les phénomènes psi mérite d’avoir des méthodologies et des schémas explicatifs appropriés pour leur objet. Il y a là une possibilité d’avenir pour l’ufologie dans la mesure où elle pourra mettre son énergie à comprendre comment les données sont produites, c.-à-d. à mieux comprendre comment les capteurs (les témoins) reçoivent et enregistrent les déviations (OVNI et extra-terrestres) par rapport à la norme socio-culturel qui les entourent.
Hum… cette mention de "
déviations (OVNI et extra-terrestres) par rapport à la norme socio-culturel qui les entourent" m'embête… c'est un préjugement, un présupposé, qui est lourd de sens et que je ne partage pas.
Cela dit, et parlant de méthode, je suggérerai à titre provisoire l'
Actor-Network Theory ou la sociologie de la traduction de Bruno Latour. Cette méthode - il s'agit moins d'une théorie que d'une méthode - permet de suivre les acteurs, voire les actants, et le réseau qu'ils dessinent. Et pour mieux comprendre la question ovni, il faut justement commencer à suivre le réseau dans lequel ils se manifestent. A ce sujet, il ne faut pas perdre de vue que les ovnis transitent souvent selon des voies militaires et qu'ils se sont incrustés dans la culture populaire. Il ne m'apparaît pas sage d'ignorer (ou de suspendre) ces aspects ou de n'y voir que distorsion et récupération : quelque soit la nature du phénomène ovni, celui-ci semble toujours renvoyer aux activités des services de renseignement militaire et à sa représenttaion et à sa diffusion médiatique, sur grand écran et en Dolby Stereo.
Enfin, c'est une voie de recherche.