Les experts partagés entre esturgeon et canular





Stéphanie Gendron

Lundi, 25 mai 2015 15:47

MISE à JOUR Lundi, 25 mai 2015 15:53


POHÉNÉGAMOOK - La diffusion d’images d’une présumée créature marine qui aurait été aperçue samedi au lac Pohénégamook laisse certains experts perplexes.

Esturgeon géant, créature marine inconnue, canular... tous les experts, comme les pseudos experts, ont leurs mots à dire sur les images diffusées et partagées samedi partout en province, entre autres sur le site du Journal. C’est que derrière cette histoire, il y a des décennies de légendes entourant le monstre marin Ponik.
◾ Sur le même sujet: Des images de Ponik, le fameux monstre du Lac Pohénégamook?

«Une chose est certaine, ce n’est pas une histoire inventée par la municipalité», répond d’entrée de jeu la directrice générale de Pohénégamook, Marie-Claude Pinel, encore excitée lundi matin par l’envergure qu’a prise la diffusion des images captées par deux témoins, Jean Carol Fournier et Catherine Émond, avec qui, dans le dernier cas, le Journal a échangé.

«Il était 6h08 lorsque j’ai pris la photo et je crois qu’il s’agissait d’un gros poisson. Je ne peux pas dire quelle espèce», avait-elle signifiée.

À la Ville de Pohénégamook, on n’y voit que du positif pour le tourisme. «Rendu là, nous ne pouvons que poursuivre avec nos croyances. Tant mieux si c’est bon pour la municipalité!», a ajouté la directrice générale.


Plausible ou canular?

Pêcheur expérimenté et bien connu au Québec, Donald Lachance croit, comme plusieurs, qu'il s'agit d'un canular ridicule. «C'est évident.»

Le pêcheur d’esturgeons d’expérience Bernard Lauzier comprend que les gens se questionnent sur la rigidité et le mouvement étrange du poisson. «Mais c’est ça un esturgeon, ce n’est pas une truite.» Bernard Lauzier a déjà conservé un esturgeon dans un lac et a pu observer ses mouvements. «S’il n’est pas dérangé, c’est comme ça qu’il se déplace. Mais c’est sûr qu’il y a un certain scepticisme... mais je ne gagerais pas non plus que ce n’est pas ça!».

Pour sa part, le spécialiste de la pêche, Julien Cabana, affirmait lundi matin à la radio CIEL-FM qu’il n’était pas impossible de retrouver un esturgeon de cette grosseur dans le lac Pohénégamook. «C’est un poisson qui vit en profondeur, mais remonter à la surface, ce n’est pas impossible. Le mouvement lent est également normal.»

Michel Baril, le biologiste de la Fédération québécoise de chasse et de pêche, demeure de son côté très perplexe. «Je crois davantage au canular. Plusieurs indices font croire qu’il ne s’agit pas d’un esturgeon : la nageoire dorsale, le dos, ainsi que la nage du «poisson» ne concordent pas avec la biologie de l’esturgeon.» Les spécialistes du ministère de la Faune ont refusé de commenter les images.


L’histoire de «Ponik»

L’histoire de la créature marine du lac remonte à plusieurs décennies, avec des moments plus marquants à la fin des années 50, alors que du dynamitage est effectué en bordure du lac, sur la route 289.

La presse remettait à l’époque une récompense à quiconque prendrait un cliché de la créature.

Des hypothèses étaient aussi avancées : gisement de gaz ou jaillissement d’une source d’eau, arbres morts.

Des Torontois ont aussi fait une expédition pour explorer le lac avec une sonde à ultrason et ont repéré une masse d’environ 8 mètres de longueur, selon les données officielles du bureau municipal.

Pour expliquer la présence d’esturgeons dans ce lac, des témoins oculaires ont avancé qu’un spécimen se serait échappé d’un bassin d’élevage appartenant à un ancien curé du quartier Saint-Éleuthère.

Pohénégamook a créé de toutes pièces la vidéo virale du « monstre »


Mise à jour le mardi 26 mai 2015 à 11 h 38 HAE

Le reportage de Patrick Bergeron

Le monstre du lac Pohénégamook, un coup monté réussi

Véritable phénomène sur le web, la vidéo montrant le monstre légendaire du lac Pohénégamook, Ponik, s'avère un coup de marketing. Les dirigeants de la Ville de Pohénégamook ont orchestré le tout avec l'aide de l'agence Tactic design pour promouvoir la nouvelle image de marque de la ville. Ponik devient désormais le nouvel emblème de Pohénégamook.

Publiée sur Facebook samedi dernier, la vidéo a suscité un engouement sur les réseaux sociaux et a fait le tour de la planète. Elle a récolté plus de 150 000 visionnements. La forme visible est en réalité une animation en trois dimensions produite par Tactic design.


« L'objectif de cette offensive publicitaire était de susciter l'intérêt autour de la légende de Ponik, en lien avec le lancement de la nouvelle image de la Ville. »
— Marie-Claude Pinet, directrice générale de la Ville de Pohénégamook

Depuis près de 150 ans, la légende de Ponik « attire les médias et attise la chasse au monstre », estime la directrice générale de la Ville de Pohénégamook, Marie-Claude Pinet. L'effervescence qu'a créée la vidéo sur la toile la fin de semaine dernière démontre que Pohénégamook est « bien plus qu'une légende », selon elle.


Nouvelle stratégie

L'internaute Jean-Carol Fournier, qui a diffusé la vidéo sur son compte Facebook, s'est prêté au jeu. « Je crois tellement au potentiel de développement de Pohénégamook que lorsque les initiateurs du projet m'ont interpellé, je ne pouvais refuser cette proposition », indique-t-il.

Ce coup de marketing de 2 000 $ s'inscrit dans une stratégie que prépare la Ville depuis un an dans le but de « mieux la positionner en termes de milieu touristique attrayant, de favoriser son essor économique et de susciter le sentiment d'appartenance et de fierté auprès des citoyens ».

Pohénégamook attire quelque 50 000 touristes par année. Selon les élus, ce coup d'éclat sur le web pourrait permettre d'attirer de nouveaux touristes. Pour sa part, la mairesse Louise Labonté croit que la vidéo pourrait raviver la légende du monstre marin et ainsi le rendre accessible à un plus grand nombre de personnes.

« Une fausse bonne idée qui détruit le mythe », selon Michelle Blanc

La spécialiste du marketing sur Internet Michelle Blanc se montre toutefois dubitative quant au succès de ce coup publicitaire.

Bien qu'à court terme, il s'agit d'une réussite en raison de la couverture médiatique sans précédent, la vidéo « détruit le mythe du monstre marin », selon elle.

« On vient de faire un canular pour dire que Pohénégamook n'a pas de monstre marin. Le monstre marin a été créé par la Ville. Comment on va faire pour faire vivre ce mythe-là par la suite? »
— Michelle Blanc, spécialiste du marketing sur Internet

Pour qu'une campagne publicitaire porte ses fruits à long terme, estime Michelle Blanc, elle doit entretenir le mythe, comme le fait Las Vegas avec Area 51. La Ville américaine s'efforce de faire la promotion de ce lieu « où il y aurait supposément des extraterrestres », explique-t-elle. « Il y a toute une industrie touristique qui s'est greffée autour de ce mythe-là pour le faire vivre », résume Mme Blanc.