Que sont le scepticisme et la zététique ?
Tous les habitués de ce forum, de ce site, et de façon générale tout ceux qui s’intéressent au paranormal, ont déjà entendu parler, ne serait-ce que vaguement, de ces deux termes. Dans le traitement médiatique habituel des questions paranormales, qui repose essentiellement sur le débat dichotomique, explosif et générateur d’audimat mais rarement instructif ni constructif, sceptiques et zététiciens sont généralement rangés dans le « camp » opposé à celui des « croyants » ou tenants, partisans de la réalité des phénomènes paranormaux. Dans l’imagerie populaire, les sceptiques sont donc ceux qui, a contrario, nient l’existence de tels phénomènes.
Qu’en est-il réellement ?
Pour le savoir, un bref rappel d’histoire des idées est nécessaire. Le terme scepticisme a été forgé au IIIème siècle av. JC par le philosophe grec Pyrrhon, à partir du mot skepticos, littéralement « celui qui examine ». Sans entrer dans les détails philosophiques, la réflexion sceptique classique aboutit au postulat que le monde qui nous entoure peut être décrit, connu et objectivé par le recours à l’observation, à l’examen des faits, et à la raison. A ce titre, le scepticisme antique est souvent considéré comme un précurseur de la méthode scientifique actuelle.
Ce n’est toutefois qu’avec le développement de la science consécutif au « Siècle des Lumières » et à la révolution industrielle que le scepticisme est redevenu une philosophie à la mode, corollaire des autres courants de pensées du XIXème siècle tels que scientisme, rationalisme, positivisme ou matérialisme.
En France, ces philosophies ont pour une large part fourni les bases de l’idéologie de la IIIème République entre les années 1880 et 1914, notamment laïcité, culte de la science et des savants, anticléricalisme. L’image de ces courants de pensée, scepticisme compris, a nettement pâti de l’intolérance anticléricale du régime, ainsi que des grandes hécatombes de 14-18 où la science a été abondamment mise à contribution, notamment par l’intermédiaire des gaz de combat.
C’est sans doute à la suite de ces événements que le terme sceptique a peu à peu pris en France une connotation péjorative qu’il n’a pas dans les autres pays (en terre anglo-saxonne par exemple). Alors qu’étymologiquement, le sceptique ne se positionne pas en termes de croyance mais de connaissance, dans l’esprit du plus grand nombre, le scepticisme a fini par s’apparenter à tort à un refus d’admettre l’idée considérée, même face à l’évidence, ou à une négation systématique a priori.
Après la Seconde guerre mondiale, un petit groupe de chercheurs belges passionnés de paranormal, constatant l’absence trop fréquente de véritable méthodologie scientifique dans ce domaine, entreprirent de combler ce vide en s’appuyant sur la philosophie sceptique originelle et la méthode scientifique. Ils créèrent en 1949 le Comité belge pour l’investigation des phénomènes réputés paranormaux, plus communément appelé Comité para, et qui est à l’origine de ce qu’on peut baptiser le scepticisme moderne, par opposition au scepticisme classique hérité de la Grèce antique.
Le mouvement s’étendit peu à peu à travers le monde, faisant notamment souche aux Etats-Unis avec la création en 1976 du CSICOP à l’instigation de Paul Kurtz. En revanche, il n’eut guère de succès en France, essentiellement à cause de la connotation péjorative attachée aux mots sceptique et scepticisme.
Ce n’est qu’à partir du début des années 1980 qu’un physicien de l’université de Nice, Henri Broch, eut l’idée de remplacer le terme scepticisme par celui de zététique. Ce dernier vient du verbe grec zêtein, « chercher ». Le mot, déjà employé par les philosophes sceptiques grecs, avait été remis au goût du jour lors de la décennie précédente par un membre du CSICOP, Marcello Truzzi, qui entendait se démarquer d’un certain nombre de sceptiques américains confondant trop volontiers le scepticisme et un debunking (anglais pour démystification) systématique pas toujours argumenté.
Par opposition à ces derniers, la zététique se voulait donc plus respectueuse de ses interlocuteurs « tenants » et davantage axée sur la pédagogie, notamment dans le but de promouvoir la diffusion de l’esprit critique dans le grand public par le biais de l’intérêt suscité au sein de celui-ci par les phénomènes paranormaux. Moins connoté et largement inusité jusque-là, le mot zététique a rapidement eu davantage de succès en France, et plusieurs associations de zététique existent actuellement.
En résumé :
Scepticisme classique : posture philosophique selon laquelle le monde qui nous entoure peut être décrit, connu et objectivé par le recours à l’observation, à l’examen des faits, et à la raison.
Scepticisme moderne : méthode d’investigation des phénomènes réputés paranormaux, basée sur la posture philosophique sceptique et la méthode scientifique.
Zététique : adaptation française du scepticisme moderne, axée sur la promotion et l’enseignement de l’esprit critique au public, par le biais de l’expérimentation sur les phénomènes réputés paranormaux.
Etymologiquement, sceptiques et zététiciens examinent et cherchent. Ils ne se positionnent pas en termes de croyance, mais de connaissance. Ceci implique qu’ils ne formulent aucune théorie ou opinion préalable à l’examen des faits, mais qu’ils déduisent au contraire leurs théories, hypothèses et conclusions dudit examen des faits.
Malheureusement pour l’image des sceptiques et des zététiciens, la place qui leur est réservée dans les médias est généralement occupée par ce que Marcello Truzzi appelait des pseudo-sceptiques (ou debunkers en anglais), personnes niant généralement a priori tout phénomène réputé paranormal sans démonstration argumentée probante.
Cette attitude ne saurait être considérée comme réellement sceptique dans la mesure où elle ne procède pas de l’examen des faits.
Au contraire, tout sceptique/zététicien doit faire preuve de la plus élémentaire curiosité scientifique et d’ouverture d’esprit, quitte à, selon le mot du biologiste Pascal Tassy, « faire sien l’improbable, lorsqu’il s’impose à l’enquêteur rigoureux ».
NB : cette définition et son contenu n’engagent que leur auteur, qui affirme et revendique ici clairement son appartenance à une association de zététique. Cette analyse ne fait pas forcément l’unanimité chez un certain nombre de personnes se revendiquant du scepticisme. L’auteur ne donne d’ailleurs ici que son opinion personnelle, fût-elle argumentée, et n’a pas la prétention de détenir la vérité absolue sur cette question.
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