Attentats à Madrid: 198 morts, Aznar accuse l'ETA, Al-Qaïda revendiqueMADRID
(AFP), le 12-03-2004
Cent quatre-vingt-dix-huit personnes ont été tuées et 1.400 blessées jeudi matin, selon un bilan provisoire, dans des attentats simultanés contre quatre trains à Madrid: les autorités espagnoles accusent l'organisation séparatiste basque ETA, mais un texte attribué à
Al-Qaïda a revendiqué les attaques.
Des quelque 1.400 personnes blessées, 377 demeuraient hospitalisés vendredi matin, dont 45 dans un état critique et 15 dans un état très grave, selon le gouvernement régional de Madrid.
Ces attentats, qui interviennent trois jours avant les élections législatives, sont les plus meurtriers qu'ait connus l'Espagne et les plus meurtriers en Europe occidentale depuis l'attentat de Lockerbie (Ecosse, 270 morts) en 1988.
Dix bombes ont explosé, visant quatre trains dans trois gares de Madrid et de sa banlieue, autour d'une même ligne ferroviaire. Les artificiers de la police en ont fait exploser trois autres, selon le ministre de l'Intérieur Angel Acebes.
Sept bombes ont explosé à la gare centrale d'Atocha, une des plus grandes de Madrid, "une dans la gare de Santa Eugenia et deux dans celle du Pozo", dans la banlieue madrilène, a indiqué le ministre.
Les explosions se sont produites vers 07h30 (06h30 GMT), heure de grande affluence, à 4 ou 5 minutes d'intervalle et sans avertissement préalable.
Quelques heures après le drame, les autorités ont d'abord désigné l'ETA comme coupable, puis l'annonce de la découverte jeudi à Alcala de Henares (35 km à l'ouest de Madrid), point de départ des quatre trains visés, de sept détonateurs et d'une cassette de versets du Coran en arabe dans une camionnette volée a rendu les autorités moins catégoriques.
"La piste prioritaire (de l'enquête) reste l'ETA, mais il faut être très prudent et enquêter sur d'autres pistes", a déclaré le ministre espagnol de l'Intérieur Angel Acebes qui a insinué qu'il pouvait aussi s'agir d'une manoeuvre d'intoxication "pour provoquer la confusion".
Le ministre a précisé que la série d'attentats avait été perpétrée avec douze sacs à dos remplis chacun de huit à dix kilos d'explosifs. "Nous sommes donc en train de parler de plus de 100 kilos d'explosifs qui ont un composant de dynamite, qui est celui habituellement utilisé par l'ETA", a-t-il précisé.
Le quotidien de Londres Al-Qods al-Arabi a ensuite publié un communiqué daté du 11 mars et signé des "Brigades Abou Hafs al-Masri/Al-Qaïda".
"L'escadron de la mort (des Brigades Abou Hafs al-Masri) a réussi à pénétrer au coeur des Croisés européens et à infliger un coup douloureux à l'un des piliers de l'alliance croisée, l'Espagne", affirme le texte dont l'authenticité ne peut être vérifiée.
Cette attaque "fait partie du règlement d'un vieux compte avec l'Espagne croisée, l'alliée de l'Amérique dans la guerre contre l'islam", ajoute le communiqué, dont une copie a été envoyée par le journal.
"Où est l'Amérique, O Aznar? Qui va te protéger de nous? La Grande-Bretagne, le Japon, l'Italie et d'autres collaborateurs?", ajoute le texte s'adressant au Premier ministre espagnol José Maria Aznar, l'un des principaux alliés de Washington dans la guerre contre l'Irak.
L'exécutif espagnol a dit analyser avec "une grande prudence" et vérifier l'authenticité du texte.
Le texte revendique également la paternité de l'attentat contre une loge maçonnique mardi à Istanbul. Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a mis en doute la crédibilité de la revendication. "Rien n'est sûr", dit-il quant à une responsabilité d'Al-Qaïda dans les attentats de Madrid et d'Istanbul.
En fin de soirée, la radio privée Cadena Ser a cité des sources antiterroristes affirmant qu'un kamikaze se trouvait dans l'un des trains, une information non confirmée immédiatement par le ministère de l'Intérieur. S'il se confirme, ce modus operendi accréditerait la thèse d'un attentat d'Al-Qaïda.
Toute la journée à Atocha, les secouristes ont extrait des cadavres des deux voitures éventrées d'un train de banlieue visé alors qu'il se trouvait près de la gare. Les voies étaient jonchées de câbles arrachés, de sièges broyés, de vêtements déchirés.
Un hôpital de campagne installé dans un gymnase à proximité accueillait les blessés.
En fin de journée, les corps et des sacs contenant des restes humains ont été transportés à la morgue improvisée au Centre d'expositions de Madrid, où 70 médecins légistes tentaient d'identifier les victimes. Au moins 150 familles sans nouvelles de leurs proches se sont rendues sur place.
Alors que les télévisions espagnoles montraient en continu des images du carnage et que les journaux sortaient des éditions spéciales, parlant d'un "11 septembre" espagnol, des centaines de personnes donnaient leur sang.
Le dirigeant de Batasuna, parti radical basque interdit pour ses liens avec l'ETA, Arnaldo Otegi, a condamné ces "actions aveugles" et dit ne "même pas" envisager qu'elles émanent de l'ETA, qui prévient "toujours" au moment de poser des explosifs. Il les a attribuées à la "résistance arabe".
Batasuna n'a jamais dans le passé condamné d'actions terroristes de l'ETA.
"La méthode utilisée" avec des sacs à dos piégés a déjà été employée par l'ETA, a insisté le ministre. Il a rappelé que les autorités avaient déjoué peu avant Noël un attentat de l'ETA contre une gare de Madrid utilisant un sac à dos.
Dans une démarche inhabituelle, le conseil de sécurité de l'Onu, qui regroupe des représentants de 15 pays dont l'Espagne, a voté une résolution qui condamne l'ETA pour les attentats de Madrid, se fiant aux déclarations du gouvernement espagnol.
La police recherchait jeudi deux personnes vues plusieurs fois montant et descendant de trains sur la ligne ferroviaire des attentats.
Le gouvernement a décrété trois jours de deuil et appelé les Espagnols à se rassembler vendredi à 19h00 (18h00 GMT), partout en Espagne. Les Espagnols réussiront "à en finir avec la bande terroriste", a affirmé le chef du gouvernement José Maria Aznar.
Les partis politiques ont suspendu leur campagne pour les législatives de dimanche. Des rassemblements silencieux spontanés ont eu lieu jeudi à travers l'Espagne et notamment au Pays basque (nord).
Mercredi, des tracts anonymes, écrits en castillan et en basque, étaient apparus dans les rues de Saint-Sébastien (Pays basque espagnol), appelant à frapper les "objectifs espagnols, à boycotter les chemins de fer" avant le 14 mars, date des législatives. Les chefs d'Etat du monde entier ont unanimement condamné ces attentats.
La Bourse américaine a fortement chuté jeudi à la suite de la revendication attribuée à Al-Qaïda, Wall Street perdant 1,64% et le Nasdaq 1,03%.
Rame éventrée de l'un des trains visés par l'attentat à la gare d'Atocha (AFP)AgenceFrancePresse (AFP)