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L'Europe met les glaces polaires sous surveillance
LE MONDE | 08.10.05 | 13h27 • Mis à jour le 08.10.05 | 17h27
A 9 heures
Le satellite européen Cryosat devait être lancé, samedi 8 octobre, depuis le cosmodrome de Plesetsk, dans le nord de la Russie. L'appareil doit être placé en orbite par un lanceur Rockot et devra, trois années durant, mesurer les variations de l'épaisseur des calottes glaciaires du Groenland et de l'Antarctique. Il sera également en mesure d'évaluer l'épaisseur de la banquise de l'océan Arctique.
Les données qu'il devrait fournir seront précieuses. Le radar altimétrique embarqué, conçu par Alcatel, offrira des mesures d'une précision de l'ordre du centimètre et permettra d'évaluer les plus fines évolutions des glaces polaires.
Certes, des altimètres sont déjà embarqués sur plusieurs satellites européens notamment Envisat et ERS-1 et 2. Mais, comme l'explique Pascal Gilles, responsable de la mission Cryosat à l'Agence spatiale européenne (ESA), "ces satellites sont héliosynchrones, pour assurer une cohérence des mesures dans le temps" . "A chaque révolution, ils traversent l'équateur à la même heure solaire , précise M. Gilles. Or les lois de la physique imposent à un tel satellite une inclinaison de 88,5º. Il ne passe donc jamais à l'intérieur d'un cercle d'environ 10º de latitude autour des pôles." En orbite polaire, Cryosat permettra de lever le voile sur ces zones qui demeuraient jusqu'à aujourd'hui inaccessibles.
"Il s'agit de la première mission du program me undefinedundefinedLiving Planet' ' de l'ESA , explique M. Gilles. Le but est de donner, avec un souci d'économie et dans de courts délais, des réponses à des questions simples que se posent les scientifiques ou le grand public sur l'environnement." La première de ces interrogations tient à l'épaisseur des glaces de mer arctiques. "Nous avons des indications sur les variations de leur superficie qui, selon les saisons, se réduit en moyenne de 4 % à 7 % par décennie depuis les années 1950 , explique Frédérique Rémy, chercheuse au Laboratoire d'études en géophysique et océanographie spatiales. Mais nous n'avons jusqu'à maintenant aucune idée de leur épaisseur." Puisque ces formations flottent sur l'eau, la mesure de leur hauteur permet, par comparaison avec le niveau de la mer, d'en déduire l'épaisseur avec précision.
ENVIRON 7 MÈTRES
La présence de cette banquise a une influence importante sur le climat. D'abord, comme le dit Mme Rémy, "elle contribue à l'albédo -ou indice de réflexivité- de la Terre" . La banquise réfléchit en effet une proportion du rayonnement solaire beaucoup plus importante que l'océan. De plus, la présence de ces glaces contraint certains courants marins qui, eux aussi, influent sur le climat terrestre. En revanche, leur fonte ne modifie pas le niveau global des mers.
Tel n'est pas le cas des calottes glaciaires du Groenland et de l'Antartique. Celles-ci reposent en effet sur des terres continentales et leur fonte alimente directement l'océan. La fonte du Groenland, par exemple, provoquerait une augmentation moyenne du niveau de l'ensemble des mers du globe d'environ 7 mètres.
Cryosat permettra d'étudier ces grands glaciers. Sans toutefois pouvoir en déterminer l'épaisseur : il n'en relèvera que les variations.
Ces mesures devraient permettre de mieux comprendre la nature et surtout la vitesse des changements que connaissent ces formations. Dans le cas du Groenland, explique Catherine Ritz, chercheur au Laboratoire de glaciologie et de géophysique de l'environnement, "les modèles prévoient une réduction de la calotte sur ses bords mais, en revanche, un épaississement en son centre" .
CONNAÎTRE LA VITESSE DE FONTE
Comment expliquer ce qui semble être un paradoxe ? Avec le réchauffement, c'est le taux d'humidité moyen dans l'atmosphère qui augmente. Corollaire direct : les précipitations neigeuses sont plus importantes. L'augmentation de l'épaisseur de glace au centre du Groenland n'est donc pas étonnante. Les premières observations, ajoute Mme Ritz, "confirment ces prévisions" .
Cependant, la dynamique de ce phénomène est mal connue. "La calotte ne peut pas continuer à réduire en superficie et augmenter en hauteur car elle n'aboutirait pas à une forme stable , dit Didier Paillard, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement. La glace undefinedundefinedcoule'', à l'échelle des siècles, du sommet vers les bords, et c'est cette dynamique qui, à long terme, va avoir une influence décisive sur la disparition des calottes." Cryosat en relèvera les plus petites variations topographiques, ce qui permettra de mieux comprendre la dynamique du phénomène.
Cependant, certains scientifiques regrettent la courte durée de vie trois ans de la mission, vu la cinétique très lente des processus complexes qu'elle doit étudier. "Il a fallu environ dix mille ans pour que fondent les grandes calottes du dernier maximum glaciaire, qui recouvraient le Canada il y a vingt mille ans , rappelle M. Paillard. L'essentiel n'est pas tant de savoir si les calottes vont fondre. Il y a un quasi-consensus pour estimer que celle du Groenland est condamnée à terme. Il est en revanche crucial de parvenir à connaître la vitesse à laquelle cela va se produire et s'il y a, ou non, un risque que le phénomène s'accélère brutalement."
Stéphane Foucart
Article paru dans l'édition du 09.10.05