Ar Soner a écrit:
Oromasus a écrit:
. En revanche Jaynes s'attarde longuement sur les hallucinations auditives des schizophrènes. Encore une fois il est difficile de résumer son étude en quelques mots, mais voici quelques éléments : le développement de la conscience humaine fut rendue possible grâce au perfectionnement du langage articulé.
Et justement, ça fait au moins 9000 ans que le langage existe (et encore, j'ai pris ici comme repère le début du néolithique : il n'est pas du tout impossible que les peuples préhistoriques aient déjà disposés d'un langage, c'est même très probable).
C'est plus que probable, c'est même certain. Seulement mon propos était de dire que le langage articulé avait grandement contribué au développement conscient des humains, non pas que ce langage s'accompagnait forcément d'une forme subjective de la conscience. La nuance est de taille dans le débat qui retient notre attention.
Ar Soner a écrit:
Et les toutes premières traces de langue dont nous disposons montrent qu'il s'agit de tout sauf de "proto-langages primitifs" ; au contraire, elles sont déjà très aboutis.
Le sumérien par exemple, qui est apparu au début du IIIème millénaire avant notre ère, est une langue agglutinante très complexe, transcrite au moyen d'un système logographique cunéiforme. Outre des choses bassement matérielles telles que des livres de comptes ou des éloges à des monarques, on a a retrouvé des épopées ou des poèmes (avec tout ce que ça implique : figures de style, métaphores...) gravés en sumérien.
Les premières traces de langage dont tu parles sont déjà tardives, puisqu'elles correspondent forcément à l'apparition de l'écriture en Chine, en Mésopotamie et en Égypte aux alentours de -3000. Sans cette écriture, pas moyen de savoir quelle langue parlait ces peuples. Or les sociétés de type bicamérales commencent véritablement à la fin du mésolithique. L'exemple le plus ancien de village structuré autour de la tombe d'un chef et de ses descendants remonte à la culture natoufienne. Voir Eynan vers 9000 avant J.-C et le début du néolithique que tu évoquais plus haut. On est encore loin des grandes cités de type Obeid -5000, qui plus tard devinrent les premières cités sumériennes contemporaines des premiers écrits, telles Ur, Lagash ou Uruk.
Les premiers textes écrits sont avant tout des documents administratifs, des moyens mnémotechniques pour contracter des opérations commerciales ou pour s'assurer de la rentrée des denrées dans les greniers des rois puis de leur répartition, par exemple. Le style de l'écriture est encore très primitif et essentiellement figuratif. Il faudra attendre environs encore mille ans pour qu'apparaissent les premières formes de récits littéraires. L'épopée de Gilgamesh, à laquelle tu faisais référence dans un post précédent, ne fut pas rédigée en sumérien, mais par des akkadiens et en langue sémitique. Quant au sumérien, s'il semble en effet s'agir d'une langue agglutinante, mais personne n'a encore été capable de dire à quelle famille de langue elle se rattachait. Son origine étant inconnue et les chercheurs n'ayant aucun élément de comparaison concret, je te raconte même pas les problèmes d'interprétation.
Pour les langues sémitiques comme l'akkadien ou le babylonien (qui empruntèrent aux sumériens leur mode d'écriture cunéiforme), les traductions furent facilitées par le fait que ce type de langue est très bien connu et toujours parlé aujourd'hui. C'est le cas de l'araméen par exemple, mais aussi des ses descendantes hébraïques et arabes. Cependant, la tentation des auteurs modernes de mettre de la subjectivité partout est grande. L'interprétation de textes rédigés à partir d'un système complexes de 600 signes possédants chacun parfois jusqu'à dix sens différents chacun est chose particulièrement mal aisée. Voilà pourquoi Jaynes a préféré étudier les écrits homériques ou les plus vieux livres de l'ancien testament, textes rédigés à partir d'un système syllabaire ou alphabétique et dont les langues sont parfaitement connues. Ce qui ne veut pas dire non plus que leur interprétation par les modernes ne pose aucun problème. De telles traductions nous renseignent parfois bien plus sur la psychologie du traducteur que sur celle des auteurs. Les premiers étant doués de subjectivité et n'imaginant pas que les seconds ne puissent pas l'être, ils projetèrent naturellement cette subjectivité et l'insufflent là où elle n'est pas.
Voilà plusieurs passages du bouquin de Jaynes qui illustre parfaitement ce type de méprise et accréditent à merveille sa thèse :
Julian Jaynes dans "LA NAISSANCE DE LA CONSCIENCE DANS L'EFFONDREMENT DE L'ESPRIT " a écrit:
Un autre mot important, qui vient probablement du doublement du mot meros (partie), est le mot mermera, qui signifie « en deux parties ». Il fut transformé en verbe par l'ajout de la terminaison -izo, suffixe courant qui permet la transformation d'un nom en verbe ; le mot produit étant mermerizein, littéralement, « être divisé en deux par quelque chose ». Les traducteurs modernes, au nom de la soi-disant qualité littéraire de leur travail, utilisent souvent des termes modernes et des catégories subjectives qui ne sont pas fidèles à l'original. Mesmerizein est donc, à tort, traduit par méditer, réfléchir, être indécis, être préoccupé, ne pas se décider. Mais, avant tout, il signifie être en conflit avec soi-même par rapport à deux actions, et non deux pensées. C'est toujours en rapport avec l'action. On le dit plusieurs fois à propos de Zeus (20, 17 ; 16, 647), et d'autres encore.
Julian Jaynes dans "LA NAISSANCE DE LA CONSCIENCE DANS L'EFFONDREMENT DE L'ESPRIT " a écrit:
Les mots que nous allons examiner ici sont au nombre de sept : thumos, phrenes, noos et psyché, tous traduits indifféremment par esprit ou âme, et kradie, ker ou etor, souvent traduits par coeur ou parfois par esprit. La traduction de ces sept termes par esprit ou quoi que ce soit de semblable est tout à fait erronée et injustifiée dans l'Iliade. Tout simplement, et sans ambiguïté, il faut les considérer comme des parties objectives de l'environnement ou du corps. Nous parlerons plus longuement de ces termes dans un instant. (...)
nous avons découvert que ce qui provoque physiologiquement une hallucination auditive, que ce soit chez un homme bicaméral ou chez un schizophrène contemporain, c'est le stress produit par une décision à prendre ou un conflit intérieur. Or, au fur et à mesure que les voix des dieux sont de plus en plus inadaptées et réprimées pendant ce chaos social, on peut supposer que le degré de stress nécessaire pour amener une hallucination auditive était augmenté.
Il est fort probable donc, qu'au moment où l'organisation bicamérale de l'esprit commençait à diminuer le stress de la prise de décision dans une situation nouvelle était plus élevé qu'auparavant, et que son intensité et sa durée devaient augmenter progressivement avant que l'hallucination d'un dieu n'ait lieu. Cette augmentation du stress s'accompagnait de divers symptômes physiologiques, de changements vasculaires donnant lieu à des sensations de brûlure, des changements brusques de la respiration, d'un battement accéléré du coeur ou de palpitations, etc., réactions qui, dans l'Iliade, s'appellent respectivement thumos, phrenes et kradie.
(...)
On peut trouver la preuve que nous sommes sur la bonne voie avec ces suppositions dans l'Iliade elle-même. Au tout début, ses voix ordonnent à Agamemnon, roi des hommes mais esclave des dieux, d'enlever Briséis aux belles joues à Achille qui l'avait capturée. Alors qu'il exécute l'ordre, la réaction d'Achille commence dans son etor, c'est-à-dire à mon avis une crampe d'estomac, où il est en conflit avec lui-même, divisé (mermerizo) intérieurement, ne sachant pas s'il doit obéir à son thumos, ses sensations internes de colère immédiates, et tuer ou non le roi qui abuse de ses prérogatives. Ce n'est qu'après ce moment d'hésitation, fait de sensations au ventre et d'afflux de sang, quand Achille tire sa puissante épée, que la tension est devenue suffisante pour percevoir la déesse Athéna brillant d'un éclat terrifiant, qui prend alors le contrôle de l'action (1, 188 sq.) et dit à Achille ce qu'il doit faire.
Ar Soner a écrit:
Oromasus a écrit:
Pour finir, s'il peut être surprenant d'imaginer des êtres humains élaborant des sociétés complexes sans avoir recours à la conscience subjective, il est néanmoins possible d'aller plus loin encore. Je vois que les hommes et les femmes qui constituent nos sociétés modernes ne sont pas vraiment conscients non plus... Au sens plein du terme. héhé.
Hmmmm... Va jusqu'au bout de ta pensée ? Qu'est ce qui te permet d'affirmer catégoriquement que l'homme que tu croises dans la rue est moins "conscient" que toi ?
Il n'est pas possible de l'affirmer à coup sur. L'état de conscience intérieur n'a rien à voir avec l'aspect extérieur et un maitre peut très bien se dissimuler derrière une apparence fort banale.
Cependant, le comportement, et bien plus encore les préoccupations habituelles d'une personne, peuvent renseigner assez précisément sur son degré de conscience. Et c'est là que mon affirmation prend tout son sens. A un autre niveau, les valeurs mises en exergue et le fonctionnement général d'une société donne la température du niveau conscient moyen des individus qui la compose. Bien sur, nos sociétés modernes sont bien plus évoluées en terme de conscience que les sociétés antiques. Mais par ailleurs, il est possible comme je le fais de déplorer qu'elles le soient finalement si peu au regard de ce que ça pourrait être idéalement...
L'exemple des sensations internes mises en lumière par Jaynes dans l'Iliade, et tout particulièrement leur poids dans les prises de décisions, est flagrant pour déterminer le degré de conscience d'une personne. Un être très peu conscient de lui-même va très vite se retrouver submerger par de telles sensations et réagir machinalement sous le coup de la colère, de la peur, du doute ou tout autre sentiment qui prendra le pas sur sa raison. En revanche un être plus conscient restera en contact avec ses ressentis intérieurs qui dès lors se manifesterons de manière moins violente. Il ne se laissera pas polluer par des croyances, des pensées ou des a priori sociaux tels que la morale ou la bienséance. S'il est conscient, c'est avant tout des messages que lui envoie son corps et qui le renseignent sur ses véritables besoins et aspirations. Des ressentis qui lui indiquent les bonnes décisions à prendre afin de tendre vers un plus grand épanouissement de son être. Et ces manifestations ne sont pas seulement nerveuses. Les nerfs sont les messagers au même titre que les hormones, mais les véritables émetteurs sont nos cellules. Cela les spécialistes des sciences cognitives finirons par le découvrir même si ça va prendre encore un peu de temps. L'importance des cellules gliales dans les processus cognitifs, par exemple, est maintenant parfaitement reconnue et le rôle des neurones (cellules spécialisées) s'en trouve déjà quelque peu relativisé.
Bref, par l'expression de nos cellules nous sommes connectés en premier lieu avec nous même, puis dans un deuxième temps nous le sommes également avec l'univers. L'âme personnelle, qui pour moi est un mot dénué de mysticisme et de religiosité, est l'ensemble des mémoires engrangées par nos cellules afin d'apporter des réponses appropriées face à notre environnement. L'intelligence est la sommes de ces réponses lorsqu'elles sont suivies et appliquées.
Quant à l'homme moderne, il semblerait que l'acquisition de la conscience subjective l'ai placé dans une situation tout aussi inédite qu'embarrassante. Car du fait même de cette faculté complètement nouvelle dans l'ensemble du règne animal connu, son âme est désormais polluée par toutes sortes de mémoires inutiles et parasites. Ces mémoires synthétisées sous forme de concepts ou d'idées de toutes sortes, le détournent de son être véritable en réquisitionnant en permanence son attention, et donc en se nourrissant de son énergie vitale. Mais cela est une autre histoire...

Ar Soner a écrit:
Oromasus a écrit:
Une des preuves évidente est que beaucoup d'entre eux nient par exemple avoir une âme... L'âme étant au sens propre du terme ce qui les anime, qu'est ce donc qui les anime eux ? Leur volonté propre ? Leur libre arbitre ? Il n'y a pas pire enfermement que celui qui se dissimule sous l'apparence de la liberté...
Je ne crois pas en l'âme. Pour moi, c'est un concept religieux superflu, car (1) il n'est pas indispensable pour expliquer la Vie (un système nerveux en bon état suffit pour être "animé") et (2) il soulève plus d'interrogations métaphysiques (essaye donc de répondre à la question : les animaux ont-ils une âme ?) qu'il n'apporte de réponse. D'ailleurs, les sciences cognitives partagent également ce point de vue.
J'ai déjà répondu en grande partie à cette interrogation. Les sciences cognitives disent vrai, car elles se fondent strictement sur l'observation empirique, mais leur compréhension est incomplète et partisane. Je ne peut pas blâmer les scientifiques de s'être dressé contre l'arbitraire dogmatique des religions, mais ce coté réactionnaire qui les caractérise les aveugle et cause beaucoup de tords. Sous l'impulsion de ces fameuses sciences cognitives, la psychologie est aujourd'hui au raz des pâquerettes, ce qui fait les beaux jours de l'industrie pharmaceutique soit dit en passant. Il n'y a jamais eu autant de gens névrosés que depuis qu'on a inventé ces soit disant sciences de l'esprit... Excuse moi du peu, mais ces pratiques sont inhumaines et ne peuvent en aucun cas prétendre s'appliquer à l'être humain dans sa totalité.
Les animaux ont-il une âme ? Quelle question ? Oui évidement ! L'univers dans son entier à une âme. L'âme est la mémoire du monde et nos âmes personnelles en sont une simple fraction. Présenté comme ça, il devient logique que notre âme retourne à l'âme du Tout à notre mort. Bien au contraire l'âme permet d'apporter bien des réponses que la science peine à proposer. Pour moi la vraie question métaphysique serait de comprendre comment un système nerveux en bon état pourrait suffire à animer un organisme aussi complexe qu'un être humain ? Mais peut-être pourrait-tu me l'expliquer ? J'en doute si tu n'ajoutes pas dans l'équation le système endocrinien et les diverses réactions dues au magnétisme et à l'osmolarité des fluides par exemple.
Ar Soner a écrit:
Maintenant, si j'ai bien compris ce que tu affirmais... Si je nie avoir une âme, c'est parce que je ne suis pas vraiment conscient ?
C'est pratique comme argument. Ça veut dire qu'on ne peut pas être en désaccord avec toi, au final ?...
Si tu nies avoir une âme, c'est certainement que tu donnes un autre nom aux phénomènes animiques qui font ta réalité intérieur. Que tu réduises ces derniers à la seule activité de ton système nerveux ne signifie pas forcément que tu n'en a pas une conscience plus étendu dans les faits. Mais quelque part, tu limites toi même l'étendue de ta conscience à cause d'une croyance intellectuelle, qui vaut ce qu'elle vaut, et cette limitation, quoi que purement mentale, se traduit de manière bien concrète crois moi. Donc au final, libre à qui veut d'être en désaccord avec moi ! Ca ne me fera pas un deuxième trou au cul si tu me permet l'expression.
Comprenons nous bien ! Je ne dis pas que c'est parce que tu n'es pas vraiment conscient que tu nie avoir une âme. Remettons les choses dans le bon ordre si tu veux bien. Je dis qu'en niant le fait que tu ai une âme, tu limites la conscience que tu pourrai en avoir par ailleurs si tu choisissais d'y prêter un peu attention. L'âme étant une composante essentielle de l'être global que tu es, je trouve cela fort dommageable. Mais après tout ça ne regarde que toi et loin de moi l'idée de te forcer manu militari à y croire hein !!!

Ar Soner a écrit:
Oromasus a écrit:
Enfin, puisque tu sembles mettre le scientifique au dessus de tout, voici un extrait assez explicite où des scientifiques eux même admettent que les plus grandes découvertes scientifiques sont duent à des raisonnements totalement inconscients :
L'intuition et le hasard existent en sciences. Les exemples cités par Jaynes dans l'extrait que tu me cites en sont un bon exemple : un scientifique planche sur un problème épineux dont il ne trouve pas la solution, puis alors qu'il s'y attend le moins, une idée surgit ou un petit détail de la vie quotidienne le met sur une piste qui se révélera fructueuse après coup.
Je ne suis pas certain qu'on doive avoir recours à l'âme ou une sorte de "muse" invisible qui soufflerait aux savants les bonnes réponses, pour expliquer cela...
En outre, dire que les "plus grandes découvertes scientifiques" ont été trouvé de cette façon est erroné : la plupart des découvertes se sont fait par l'expérimentation, la découverte fortuite (en biologie, médecine, chimie...) ou en planchant pendant des heures sur des lignes de calculs (c'est particulièrement le cas en mathématiques et en physiques). La liste d'exemple est innombrable : si tu pioches n'importe quelle invention, tu as un maximum de chances pour qu'elle ait été trouvée de ces façons plutôt que par une "illumination" soudaine.
En vérité, j'ai choisi de ne citer que la dernière partie de la démonstration. Mais Jaynes, et c'est là sa spécialité, montre que le même phénomène d'"illumination" est observable pour de petites opérations tel que faire une addition mathématique de base, évaluer le poids de deux objets ou déduire un élément à partir d'une suite logique. Expérimentalement il divise l'ensemble du processus en quatre phases qui sont, 1) l'instruction (2) la construction 3) la struction 4) la solution.
L'instruction consiste à prendre connaissance du problème, la construction consiste à assembler les divers éléments dans un ordre logique, la struction est la phase pendant laquelle le problème est résolu sans le concours de la conscience, la solution ne parvenant à la conscience que dans un quatrième temps.
Quand aux concepts, quels que soit leur degré de complexité, le fait que nous avons besoin d'utiliser un mot pour nous les représenter consciemment, implique en soit qu'ils demeurent justement quelque part en dehors de la conscience. Dans le subconscient dirons nous. Tel est le sens du paragraphe que j'ai cité à propos des concepts.
Enfin, nous voilà bien éloigné du Ka avec tout ça. J'y reviendrai plus tard car il va être l'heure pour moi d'aller au dodo maintenant.
