Société
Chasse au félin près de Wissant
Depuis trois jours, gendarmes et sous-préfecture sont sur le qui-vive, traquant vainement une «panthère» en liberté.
Par Denis DELBECQ
QUOTIDIEN : Lundi 14 août 2006 - 06:00
Audinghen (Pas-de-Calais) envoyé spécial
Comment faire tourner bourrique des dizaines de gendarmes armés jusqu'aux dents, une sous-préfecture et un hélicoptère? Voilà trois jours que toute la côte d'Opale, dans le Pas-de-Calais, est en émoi, la population vivant au rythme des battues organisées pour mettre hors d'état de nuire une panthère. Animal peu familier s'il en est dans ces terres battues par les vents, coincées entre les cap Gris nez et Blanc Nez.
Retour en arrière. En début de semaine, la radio annonce qu'une panthère a été aperçue près de Wissant. La Gendarmerie se met en place et patrouille, interdisant l'accès aux plages. Les cirques en goguette dans la région sont contactés mais aucune panthère noire ne manque à l'appel. Fin du premier acte. Mais vendredi, dans l'après-midi, un étrange animal est aperçu dans ce qui fut un champ de blé. Nous sommes à Audinghen, au pied du cap Gris Nez, à une poignée de kilomètres de landes et de dunes de Wissant. Une chance pour l'auteur de ces lignes qui passe quelques jours dans le grand Nord hexagonal. Car en attendant que l'estran soit assez dégagé pour aller à la pêche, un animal de couleur sombre, félin sans aucun doute, peine à surprendre une horde de mouettes en pleine sieste.
L'animal est long, probablement pas loin du mètre. La lunette d'observation familiale, d'ordinaire réservée aux migrations de guillemots, est mise à contribution. Du matériel qui tient la route, cela va sans dire. Huit cent millimètres de focale, de quoi compter les tâches sur les mouettes juvéniles à plusieurs centaines de mètres. Et c'est justement la distance qui nous sépare du fauve.
Pendant une vingtaine de minutes, touristes et habitants du chemin sont rivés à leurs jumelles. Le verdict de la lunette est formel: l'animal dépasse à peine des blés fauchés, il est lent, maladroit, se présente à plusieurs reprises plein face: c'est un bon gros chat très brun, un peu de blanc sous le museau. Et l'animal repart bredouille, faut d'avoir pu se farcir le moindre goëland. Mais la rumeur de la panthère de Wissant en a décidé autrement. Et la Gendarmerie voisine est sur les dents. Ils sont plusieurs dizaines, rencontrés sur la place du bourg, en train d'élaborer le dispositif, tenant à la main des photocopies de cartes à la précision douteuse en de telles circonstances. L'accès à la plage d'Audinghen est fermé, les uniformes se déploient. Le vendeur de frites, raccroche, déçu, sa remorque et s'en retourne.
Sur zone, l'impression perçue à la lunette se confirme au vu de la hauteur de ce qui reste des blés: l'animal ne doit pas dépasser une vingtaine de centimètres de haut, trente pour les esprits chagrins. Mais des témoins du camping voisin ont appelé entre temps la Maréchaussée: la panthère est noire et vient de repasser dans le bas du champ. S'ensuit une battue, fusils à pompes et pistolets de service dégainés, le doigt sur la gâchette. La consigne est claire: on tire sans sommations.
Le portable du capitaine ne cesse de sonner, annonçant l'inquiétude du sous-préfet. La battue se poursuit, gendarmes en ligne, qui dans les blés pas tout à fait mûrs, qui dans le champ moissonné. En haut de la colline, non loin d'un petit bois, un chevreuil est allongé paisiblement. A marcher dans le champ, on lève des lièvres, agite une perdrix, dérange un faisan, quand tout à coup une tête sombre apparaît au loin, émergeant des blés. La «panthère» se tient face au chevreuil, à une trentaine de mètres devant lui, mais hors d'atteinte pour les armes. Le face-à-face dure une dizaine de minutes. Le cervidé peu impressionné ne se laisse pas compter fleurette et repart en bondissant dans les bois, une fois retrouvé son conjoint. La panthère du Gris nez disparait à son tour. Et le Garde-chasse repart dîner, amusé de tout ce foin pour un «gros chat».
Les autorités ne l'entendent pas de cette oreille: un hélicoptère de la gendarmerie débarque. Pendant une heure, peut-être deux, il va survoler les champs et les bois pour tenter de faire sortir le félin de son abri. Derrière, les armes sont prêtes, mais on commence à frissonner, faute de vêtements adaptés à la fraîcheur du soir. Les uniformes toujours alignés sur près d'un kilomètre se passent le mot, faute de Talkie-Walkie: «le sous-préfet est là». La pluie et la nuit arrivant, les gendarmes retrouvent leurs voitures. Fin du second acte.
Samedi matin. L'animal reparaît dans son champ fétiche. Cette fois, la caméra arrive à immortaliser l'ombre brune. Mais caméra n'est pas télescope et ces images furtives ne permettront pas de faire progresser l'enquête. Le temps se gâte, mais des gendarmes apparaissent dans le champs. Fusil à l'épaule, ils avancent prudemment. L'animal est retors, ou n'aime pas la pluie. Le «plan panthère» est réactivé: accès bloqués, on ne passe pas. On ne sait jamais, «si c'était vraiment une panthère». Dans l'après-midi, la sieste est écourtée par le retour assourdissant de l'hélico qui survole le terrain en rase-mottes. Il semble avoir jeté son dévolu sur le champ de maïs du haut de la falaise, là ou l'animal a été vu plusieurs fois se réfugiant sous les averses. Hélicoptère, donc, puis re-battue, gendarmes en ligne, sous une pluie battante.
L'histoire ne s'arrêtera sans doute jamais. Car il y aura toujours un petit malin pour faire tourner les bleus en bourrique, du moins tant que l'animal n'aura pas été abattu. Mais en fin d'après-midi samedi, une jeep kaki s'aventure dans le champ, tirant une remorque. Qui se détache, histoire d'agacer un peu plus les gendarmes humidifiés par ce mois d'août décidément peu caniculaire. Les engins repartent. Depuis, la lunette a permis d'identifier l'appât. Ce n'est pas une chèvre au piquet. C'est semble-t-il une paire de canards qui patientent dans un piège grillagé alors que tombait le soir et pleuvaient les rafales. Peut-être il y a t-il aussi quelques souris, plus aptes à séduire les gros matous. Mais on se gardera bien d'aller vérifier sur pièce, de peur de rencontrer —le climat et la nature s'y prêtent—, le chat des Baskerville.
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