Citation:
" Tout prospère à Ciudad Juarez : drogue, négoce d’êtres humains, prostitution...
La ronde des chacals
La ville de Ciudad Juarez, au nord du Mexique, offre un paysage psychique étonnamment sombre. Trois cent soixante-dix femmes y ont été assassinées en douze ans, plusieurs centaines ont disparu sans laisser de traces. Les corps retrouvés dans les terrains vagues et les décharges municipales sont ceux de jeunes adultes, mais aussi d’adolescentes et parfois de fillettes. Toutes ont été victimes de violences sexuelles ; certaines ont été torturées, voire mutilées.
La police de Ciudad Juarez s’est montrée remarquablement inefficace. Non seulement elle n’a pas stoppé le massacre, mais aucun tueur en série crédible n’a été présenté à l’opinion publique. Il est vrai que beaucoup de victimes étaie nt ouvrières dans les maquilas, ces usines de sous-traitance appartenant aux plus grandes firmes américaines et européennes, qui font de Ciudad Juarez une des capitales mondiales de la délocalisation. Quelques maquiladoras de plus ou de moins, qu’est-ce que cela change ?
Tout le monde a entendu parler du fleuve Rio Bravo. De l’autre côté du pont se trouve El Paso, où les salaires sont dix fois plus élevés. Cette situation géographique fait que tout prospère à Ciudad Juarez : le négoce d’êtres humains, la prostitution, le trafic de drogue, le crime organisé. En clair, c’est le bord** du Texas, et la mafia locale n’a rien à envier aux cartels colombiens.
Tout cela ne crée pas une atmosphère très saine. D’autant que certains paramètres culturels n’arrangent pas les choses. Le machisme, notamment. Exacerbé par le rôle économique prépondérant des femmes à Ciudad Juarez et leur émancipation. Soixante-dix pour cent de ces crimes seraient dus à la violence conjugale. « Je pourrais écrire un roman d’épouvante avec les histoires qu’on me raconte », dit Esther Chavez Cano, la fondatrice de Casa Amiga, une association où les femmes maltraitées trouvent un appui juridique et psychologique.
A Ciudad Juarez, on est toujours venu des Etats-Unis pour s’encanailler. Bière, tequila, drogue, permissivité. Avec des dollars, on obtient tout ce qu’on veut. De quoi attirer les prédateurs sexuels. Les circuits de la mort passeraient par ces cabarets de strip-tease et ces clubs sordides. On a parlé de trafic d’organes, de snuff movies, ces films dans lesquels une victime est tuée devant la caméra, de rituels sataniques, de personnages liés au monde de la drogue, protégés par des fonctionnaires de police, s’adonnant à des orgies sexuelles. Fantasmes, rumeurs, supputations… En revanche, lorsque le directeur de la sécurité de la ville concède qu’il est « possible que des patrouilles de police aient été mêlées à ces crimes », nous sommes dans le réel. Ce qui est certain, c’est que ces assassinats résultent d’un climat généralisé de violence et de l’idée largement répandue chez une certaine catégorie d’hommes que l’on peut impunément abuser des femmes et s’en débarrasser après usage. Tuer pour s’amuser, en quelque sorte."
Un article d'Eric de Saint Angel (TELEOBS du 29 septembre 2005).