Trois mille pierres levées dans le Morbilhan
Les alignements de Carnac
C'est autour du golfe de Morbihan que se dressent les plus fantastiques alignement mégalithique du monde. Trois mille pierres sont encore debout, mais ce sont sans doute près de dix mille menhirs qui formaient l'ensemble d'origine. Pourquoi des hommes, se relayant pendant plusieurs siècles, ont-ils consacré leur énergie à l'élévation d'un tel ensemble ?
Il convient tout d'abord de se débarrasser d'une légende popularisée par la bande dessinée : les menhirs ne sont pas l'œuvre des Gaulois ni des Celtes. En effets, même si ces derniers n'hésitent pas, dès leur arrivée, à utiliser des dolmens comme lieu de culte, ceux-ci dominent déjà les landes bretonnes depuis plus d'un millénaire. Les civilisations mégalithiques qui les avaient élevés ont alors déjà disparu, après s'être répandues de l'Espagne jusqu'en Angleterre où, arrivées au sommet de leur art, elles ont bâti le monument de Stonehenge.
Un site unique
Le petit village de Carnac est sans aucun doute la capitale française du mégalithisme. Son nom signifie "le lieu des carn" : carn est un mot celtique désignant les amoncellements de pierres (il en est resté "carn" en gaélique, il a donné "cairn" en français et en anglais). A Carnac, on trouve tous les types de construction : les alignements sont formés de menhirs isolés, mais aussi de cairns qui forment les tumulus de pierres plates que constituent les dolmens, ainsi que des cromlechs, c'est à dire des établissements en forme de cercle. C'est au total plus de 3 000 pierres qui se dressent dans un rayon proche. Elles ne sont qu'une partie de la construction d'origine, qui comprenait sans doute près de 10 000 menhirs, le temps et les hommes en ayant détruit beaucoup. L'ensemble s'étendait probablement sur huit kilomètres.
On peut aujourd'hui distinguer trois séries d'alignement. Un cromlech en demi-cercle ouvre sur le Ménec, au Nord du village de Carnac. Là, répartis sur onze rangées, s'élèvent exactement 1 169 menhirs, hauts de 60 centimètres à 4 mètres.
L'alignement du Ménec atteint une longueur de 1 170 mètres. Après un court espace vide, 250 mètres plus loin, l'alignement de Kermario se limite à dix rangées et à 1 029 menhirs, hauts de 50 centimètres à 7 mètres. Il est long de 1 120 mètres.
Troisième étape, l'alignement de Kerlescan, 400 mètres en retrait. Treize files de 880 mètres de long regroupent 594 pierres hautes de 80 centimètres à 4 mètres. Comme l'alignement du Ménec, il est précédé d'un cromlech en demi-cercle.
En dehors des alignements, le site de Carnac comprend le grand tumulus Saint-Michel, long de 120 mètres de haut de douze mètres, à l'intérieur du quel on trouve plusieurs chambre funéraire. Il semble postérieur aux alignements eux-mêmes, tous comme le tumulus de Kercado, de trente mètres de diamètre et 3.5 mètres de hauteur. Enfin, de très nombreux dolmens et menhirs isolés se rencontrent à proximité, disséminés hors de la zone d'alignement.
Problèmes de datation
On peut estimer l'âge d'un menhir en datant les petits objets qui ont souvent été disposés au pied de la pierre pour la caler. Il faut alors se méfier des ajouts postérieurs comme des éléments qui ont pu être en place antérieurement : certaines parties des alignements de Carnac recouvrent des tumulus plus anciens. Le problème de datation se pose encors en ce qui concerne les motifs décoratifs gravés sur bien des pierres levées. Victimes de l'érosion, ils sont souvent difficiles à déchiffrer, et il est délicat de déterminer si le même peuple a érigé la pierre et l'a gravée, où si les sculptures sont les monuments de Carnac ont été élevés par plusieurs générations qui se sont succédé entre le IV° et le III° millénaire avant notre ère.
Des pierres pour observer les astres
Menhirs et dolmens ont des fonctions très différentes. Le dolmen est une sépulture, et, si l'on trouve parfois des tombes au pied de menhirs, elles sont le plus souvent postérieures à leur érection. Le menhir est un édifice commémoratif ou votif, mais en aucun cas on ne peut le considérer comme un monument funéraire.
A quoi sert-il ? C'est la fin du XIX° siècle, que sont remarquées pour la première fois les correspondances entre les structures des ensembles mégalithiques et les positions du soleil à certaines périodes de l'année. Dans chaque alignement, les menhirs sont placés par ordres décroissant et chaque série forme un angle précis avec la précédente : Kerlescan est orienté selon les levers de soleil à l'équinoxe, Kermario selon les levers au solstice d'été, le Ménec selon les levers intermédiaires. Certains observateurs voient dans cette disposition des dates correspondant aux principales phases du cycle agricole : une activité alors toute nouvelle pour les peuples occidentaux. Les théories relatives aux utilisations calendaires et astronomiques se succèdent depuis lors, appuyées par le fait que de nombreux menhirs isolés sont percés d'un trou qui a pu servir comme repère pour la visée. Mais les premiers observateurs ont eu tort de ne songer qu'à un observatoire solaire : certes, les directions des alignements correspondant à la position des levers et des couchers de soleil à des dates remarquables mais les autres astres ne sont pas oubliés.
Partant du constat que la plupart des calendriers primitifs sont semi-lunaires, le professeur A. Thom, dans les années 1970, démontre que Carnac est aussi un observatoire lunaire. Il détermine que le grand menhir de Locmariaquer, haut de 23 mètres, est sans doute l'élément central d'un grand dispositif destiné à prédire les éclipses, Plusieurs autre menhirs isolés, éloignés parfois de quinze kilomètres, comme celui de Quiberon auraient servi de crans de mire, correspondant à des moments extrêmes de la déclinaison lunaire. L'ensemble du système, champs d'alignements et cromlechs, constitueraient ainsi un véritable instrument d'observation et de prévision ; propre à permettre, notamment la prédiction des éclipses. Thom, spécialiste de la géométrie des grandes constructions mégalithiques, remarque également l'utilisation d'une unité de longueur mégalithique universelle en Europe occidentale, à laquelle il accorde la vapeur précise de 0.8293 m.
Ils n'étaient vraiment pas bête à cette époque...