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Une énigme historique percée à jour par la science: Agnès Sorel, maîtresse de Charles VII, est morte empoisonnée
S'il est resté impuni aux yeux de la loi pendant plus de cinq siècles, ce crime est maintenant percé à jour. Agnès Sorel, maîtresse rayonnante du roi Charles VII, ne serait pas décédée d'une dysenterie contractée sur une route de Normandie, en plein hiver 1450, mais serait bien morte assassinée, à 27 ou 28 ans, suite à l'administration de quantités élevées de vif-argent, comme on appelait alors le mercure. Telle est l'une des conclusions de l'enquête scientifico-policière menée sur les restes de la première «reine sans couronne».
Les résultats de ces analyses scientifiques sont présentés aujourd'hui à l'occasion de la réinhumation des restes d'Agnès Sorel dans son tombeau de la Collégiale Saint-Ours de Loches (1), conformément d'ailleurs à ses dernières volontés. Toxicologues, parasitologues, médecins légistes et spécialistes de la reconstitution faciale de Reims, Paris et Strasbourg se sont associés à l'étude menée au service d'anatomopathologie du CHRU de Lille par le docteur Philippe Charlier pour authentifier les restes d'Agnès Sorel et lui faire raconter sa vie et sa mort.
L'histoire commence début 2004 quand le conseil général d'Indre-et-Loire décide de restructurer le Logis Royal de la cité médiévale de Loches, château qui fut l'une des résidences favorites des Valois pendant la guerre de Cent Ans. «C'est alors que l'idée m'est venue de faire d'une pierre trois coups, se souvient Jean-Yves Couteau, vice-président du conseil général chargé de la culture et du patrimoine. Rénover le Logis Royal, replacer l'urne funéraire d'Agnès Sorel à la Collégiale Saint Ours suivant sa volonté et vérifier que l'urne contenait bien ses restes. Car ce réceptacle a connu bien des vicissitudes au cours de l'histoire avec des exhumations et des profanations.»
L'urne est donc transportée en laboratoire et tout d'abord passée au scanner : elle contient des morceaux de métal et une vingtaine de centimètres de matériaux divers, ossements humains mais aussi végétaux ou bouts de céramique. Puis tout est soigneusement prélevé, consolidé, nettoyé, étiqueté, rangé. Les ossements retrouvés ne représentent finalement que 10% du squelette mais sont des fragments du corps entier, des pieds à la tête. Les restes d'un foetus de 7 mois ont aussi été découverts, confirmant la chronique historique qui dit que Agnès Sorel était morte enceinte de son quatrième enfant. Les analyses confirment également qu'elle avait moins de 30 ans.
La découverte d'importance est que la Favorite était atteinte d'une ascaridiose, infection commune par de petits vers nommés ascaris. Au XVe siècle, on soignait cette maladie par un traitement à base de fougère mâle – des pollens ont été détectés dans l'urne – et par... du mercure. Un métal qui a été trouvé à des taux très élevés dans les poils et les cheveux de la défunte. «Sa mort est bien due à une intoxication aiguë au mercure, tranche Philippe Charlier. Lui a-t-il été donné volontairement ou accidentellement ? Nous penchons pour la thèse de l'assassinat car le traitement au mercure est connu et maîtrisé depuis l'Antiquité. Et le fait qu'elle ait dû prendre ce mercure autorise à penser que son assassin ait pu lui administrer une dose létale.»
Aucun ADN n'ayant pu être trouvé, les investigations génétiques n'ont pu avoir lieu.
Quelle taille faisait-elle ? Quelle était la couleur de ses yeux ? Les ossements retrouvés sont insuffisants pour déterminer sa taille et ses globes oculaires étaient trop desséchés pour voir l'iris. Mais on sait qu'elle avait une peau très blanche puisque des fragments de son épiderme momifié n'ont montré que très peu de mélanine, et qu'elle était effectivement très belle. Deux reconstitutions faciales ont eu lieu en parallèle, par deux techniques différentes... Et elles donnent le même résultat, qui n'est pas contradictoire avec les descriptions et portraits que l'on a d'elle. Des analyses sont toujours en cours pour connaître son régime alimentaire.
D'autres figures du passé devraient bientôt faire l'objet d'études semblables. Il est ainsi question de se pencher sur le cas de Louis XI et sur celui de Jeanne d'Arc. D'autant que la Pucelle d'Orléans précéda Agnès Sorel de quelques années dans le Logis Royal de Loches pour convaincre Charles VI de «bouter les anglois hors de France». Pour Louis XI, une telle enquête scientifico-policière permettra peut-être de confirmer qu'il était devenu un alcoolique mondain, qu'il souffrait d'épilepsie mais il est malheureusement fort improbable qu'elle puisse le désigner comme le meurtrier qu'il a sans doute été."
(1) En présence d'un aréopage de princes, de ducs, de nobles, Agnès Sorel et ses filles ayant donné naissance à de nombreuses lignées princières et royales européennes.
Source : LE FIGARO (2 avril 2005)