Toumaï le sahélopithèque "réveillé" par une nouvelle polémique

PARIS (AFP), le 24-11-2004

Toumaï le sahélopithèque, doyen présumé de l'humanité vieux de sept millions d'années, ne peut pas dormir tranquille, trois ans après avoir été "ressuscité" par les paléontologues.


Crâne d'un Toumaï ou "Sahelanthropus tchadensis" - (AFP)

Le South African Journal of Science (SAJS) rallume mercredi la polémique entamée dès sa découverte, en 2001, et poursuivie autour de sa place dans l'arbre généalogique de l'homme et même autour de la manière dont le fossile a été traité en laboratoire.

Si le sujet est scientifique, la querelle est entièrement humaine.

La revue sud-africaine publie trois textes qui montrent que ni l'un ni l'autre des principaux protagonistes, le paléoanthropologue Michel Brunet, de l'Université de Poitiers, "père" scientifique de "Sahelanthropus tchadensis", et le géographe Alain Beauvilain, maître de conférences à l'Université Paris-X Nanterre et l'un de ses inventeurs dans le désert tchadien, n'entendent perdre la face.

Dans le premier texte, Michel Brunet profite de son droit de réponse à un article critique à l'égard de son équipe, publié par le SAJS d'avril-mai dernier sous la signature d'Alain Beauvilain et d'un orthodontiste, Yves Le Guellec.

Selon eux, le contexte géologique de la trouvaille aurait été mal interprété et, surtout, ils auraient relevé dans les images du fossile publiées en 2002 dans la revue Nature que Toumaï se serait retrouvé avec la dent de sagesse de gauche recollée dans la partie droite de sa mandibule (d'où la profession du second signataire).

Michel Brunet rejette tout en bloc. "La contribution logistique de Beauvilain aux travaux de terrain au Tchad est considérée avec gratitude, concède-t-il, mais les affirmations et les allégations qu'il a formulées avec Le Guellec n'ont aucune portée."

Malgré cette simple conclusion, il se fait épauler, dans sa contre-attaque, par 53 noms connus du monde de la paléontologie : sa réponse est co-signée par 26 chercheurs français et étrangers, 27 autres ayant apposé leur nom au bas d'une "lettre internationale de soutien".

Le tandem Beauvilain-Le Guellec réitère de nouveau sa position. "Nous ne voyons aucune raison irréfutable de modifier radicalement notre hypothèse", soulignent les deux hommes.

Tout avait commencé en juillet 2001, date à laquelle Alain Beauvilain dirigeait une mission de terrain comprenant trois Tchadiens dont un, Ahounta Djimdoumalbaye, mit la main sur Toumaï.

La découverte fait l'objet d'une annonce officielle à N'Djaména et déclenche les foudres du "patron", le Pr Brunet, alors à Poitiers, qui est profondément mécontent de cette révélation "hâtive".

Dans un livre publié en 2003 sous le titre "Toumaï, l'aventure humaine" (que Michel Brunet a tenté de faire interdire), Alain Beauvilain souhaite "redonner leur place aux acteurs de base d'une découverte d'exception". Il cite la réflexion d'un de ses compagnons tchadiens : "Alain, c'est trop gros pour nous..."

En contemplant le crâne, le géographe ne sait pas encore que la fin de sa carrière en Afrique, longue de 24 ans, sera précipitée.

En juillet 2002, le Pr Brunet présente solennellement à N'Djaména l'article publié dans Nature. Lorsqu'il monte sur le podium devant le président Idriss Déby venu assister personnellement à la naissance scientifique du "doyen tchadien de l'humanité", le paléontologue n'est pas complètement à l'aise.

Il sait que son interprétation du fossile est déjà contestée par des confrères qui y voient plutôt un ancêtre du gorille. Si les polémiques empêchent peut-être le sahélopithèque de dormir, ses inventeurs doivent passer des nuits blanches.

Source : Agence France-Presse (AFP)