Génome de la mouche: l'erreur était humaine
Des fragments d'ADN de l'homme se sont glissés dans la carte génétique de la drosophile.
Par DENIS DELBECQ
Libération - samedi 22 et dimanche 23 avril 2000
Encore un mauvais coup pour la réputation de Craig Venter. Engagé dans une concurrence sans merci avec le programme international de recherches publiques sur le génome (HGP), l'homme a commis un faux pas. Le 24 mars, près de 200 chercheurs du public et du privé, dont Venter et ses collègues de Celera Genomics, annonçaient l'achèvement de la carte génétique de la mouche drosophile dans la revue Science. La communauté scientifique oubliait un moment les conflits qui l'opposent à Venter et saluait unanimement l'avancée. Celera Genomics rendait les informations publiques et les transmettait à la banque de données publique américaine GenBank.
Vérification. Mais, aussitôt, les équipes de GenBank entamaient leurs procédures de vérification. Et, le 10 avril, leurs conclusions tombaient sans appel: près de 150000 fragments d'ADN attribués à la drosophile proviennent de la carte génétique humaine. Un lièvre soulevé jeudi par le Los Angeles Times. «Les données contaminées n'appartiennent pas au génome de la drosophile, proteste Paul Gilman, l'un des dirigeants de Celera Genomics. Ce sont des informations additionnelles.» Une distinction sémantique pour réaffirmer l'exactitude à «plus de 99,99 % du génome publié dans Science».
La contamination des fragments d'ADN de la drosophile existe pourtant bel et bien, et elle est d'origine expérimentale. «N'importe quel appareil ou produit utilisé pour le séquençage contient des traces d'ADN, justifie Paul Gilman. La contamination est inévitable. Il n'y a pas que des traces d'ADN humain, il y en a de nombreuses autres origines.» Une manière, sans doute, de couper court à la comparaison avec l'homme-mouche mutant du film The Fly, que certains n'ont pas hésité à faire outre-Atlantique.
Pollution. Philippe Glaser, qui a conduit le séquençage de la Listeria à l'Institut Pasteur, souligne les difficultés posées par la vérification des résultats. «Les machines de séquençage sont utilisées pour de nombreux projets en parallèle, d'où le risque de pollution. Cela nous est arrivé pour la Listeria, il est logique que cela arrive à Celera qui travaille en parallèle sur l'homme et la drosophile. Nous passons beaucoup de temps à vérifier nos résultats en comparant les gènes avec tous ceux qui sont connus, de manière à détecter une éventuelle contamination.» C'est de cette manière que la contamination des résultats de la drosophile a été découverte par les chercheurs de la GenBank.
Pourquoi ce contrôle n'a-t-il pas été effectué en amont, avant la publication de l'article dans Science? Pour Celera, c'est le caractère anecdotique des données qui l'explique. Jean Weissenbach, qui dirige le Génoscope d'Evry, impliqué dans le projet HGP, n'est pas du même avis: «Il y a sans doute eu trop de précipitation, et les contrôles n'ont pas été effectués avec la sérénité qui convient.» Peu suspect de sympathies envers Craig Venter, il insiste pour relativiser la portée de sa mésaventure. «La contamination représente à peine plus de 0,1 % du génome de la drosophile. Celera a retiré les informations de la base. Il n'y a rien de plus à en dire. Il faut accepter l'erreur, elle fait partie de notre quotidien. C'est pour cela que nous insistons toujours sur le caractère provisoire de nos résultats.»
Leçon. Jean Weissenbach espère que «cela servira de leçon et que Venter sera moins prompt à souligner les erreurs de ses concurrents». Il n'a, semble-t-il, pas été entendu. «N'oublions pas que les séquences humaines publiées par le HGP peuvent contenir jusqu'à 10 % de données contaminées», lâche en réponse Paul Gilman, agacé par la publicité faite à l'affaire. - Source :
http://membres.lycos.fr/ogm/actua108.htm