Une trousse de maquillage de 100 000 ans
Découverte dans une grotte sud-africaine, c'est un des plus anciens témoignages technologiques de l'âge de pierre.La découverte a été gardée secrète durant trois ans. Aujourd'hui, c'est le jour de gloire pour le paléoanthropologue sud-africain Christopher Henshilwood (université de Witwatersrand, Johannesburg) qui révèle dans le magazine Science avoir trouvé le plus ancien atelier de fabrication de pigment ocre au monde. Il y a cent mille ans, soit 60 000 ans avant l'arrivée de l'homme en Europe, des Homo sapiens habitant la grotte de Blombos, près de la ville du Cap, utilisaient une teinture ocrée, produite au moyen d'une technologie sophistiquée. Après un très minutieux travail d'exhumation, l'équipe sud-africaine a dégagé deux kits. Ils comprenaient des coquilles d'abalones (haliotides) présentant encore les traces d'un liquide riche en ocre, des pierres en quartzite ayant visiblement servi à réduire le pigment en fine poudre, des fragments d'os d'animaux, du charbon de bois et des pierres servant de marteaux. Tous ces objets ont été retrouvés dans une couche de sable qui les a parfaitement conservés.
Reste à imaginer l'utilisation de cette peinture. On pense immédiatement à des décorations sur le corps, mais ce n'est qu'une hypothèse parmi d'autres. Nous avons interrogé Francesco d'Errico (CNRS), patron de l'équipe "Préhistoire, paléoenvironnement, patrimoine" à l'université de Bordeaux I. Il est d'autant plus à même de répondre à cette question que c'est à lui que Christopher Henshilwood a confié l'analyse du pigment. À lui et au Centre de recherche et de restauration des Musées de France. "Il est difficile d'émettre une hypothèse sur l'usage de cette préparation. Nous n'avons pas trouvé de traces de résine ou de cire, ce qui écarte, a priori, une utilisation comme mastic pour emmancher des outils. En revanche, la présence d'os spongieux écrasés et portant des traces de chauffe fait penser que de la moelle liquéfiée a pu être ajoutée à la préparation. Les coquillages laissent voir une ligne de dessiccation, indiquant que celle-ci était plus liquide que pâteuse. Sans doute de l'eau ou même de l'urine ont pu servir de diluant. Ce pigment a bien sûr pu être utilisé comme peinture corporelle à titre symbolique ou pratique (protection contre le soleil par exemple) ou pour un mélange des deux. Mais il a pu aussi servir à couvrir des peaux animales pour les décorer ou les tanner. Un usage pour réaliser des peintures rupestres ne doit pas être écarté."
Perles et parures
Christopher Henshilwood est bien sûr très fier de sa découverte. "Elle représente un repère important dans l'évolution de la cognition humaine dans la mesure où elle montre que ces hommes possédaient l'habileté conceptuelle de se procurer, de mélanger et de stocker des substances qu'il serait ensuite possible d'utiliser pour améliorer leurs pratiques sociales." Si, effectivement, il s'agit de la première découverte d'un atelier complet de fabrication de pigments, on disposait déjà de preuves matérielles indiquant que les Homo sapiens, mais aussi d'autres hommes de la branche Homo, se servaient de matières colorées. "On a retrouvé des traces d'utilisation de pigment datant de 200 000 à 250 000 ans, mais elles sont contestées par certains et mal documentées. En revanche, des fragments d'oxyde de fer volontairement modifiés ont été collectés en Afrique dans des couches datées de 160 000 ans. Enfin, n'oublions pas qu'en Europe les néandertaliens utilisaient souvent un pigment noir, voilà 40 000 à 60 000 ans", note Francesco d'Errico.
Déjà, il y a quelques années, l'équipe d'Henshilwood avait relevé dans la même grotte de Blombos de minuscules perles façonnées dans la coquille de gastéropodes marins ayant certainement servi à faire des colliers ou des bracelets. D'après Francesco d'Errico, la nature des trous percés dans ces perles excluait tout percement naturel. Ces premiers bijoux ont été datés de 75 000 ans, ce qui constitue un autre record. Et cette fois-ci, pas d'ambiguïté, ces colliers ou bracelets servaient bien de parures. Le façonnage de pigments comme des bijoux indiquerait que l'homme moderne aurait développé des relations sociales basées sur l'utilisation de symboles bien plus tôt qu'on ne l'imaginait jusqu'ici. Ces parures corporelles lui auraient permis d'affirmer son identité et de se différencier des populations voisines. Bref, les découvertes de Blombos confirment le développement des capacités cognitives de l'homme depuis plusieurs centaines de milliers d'années. C'est-à-dire très tôt dans l'histoire de l'humanité.
Par Frédéric Lewino
Le dépôt de couleur rouge dans la coquille est une mixture riche en ocre qui a été protégée par le galet broyeur. © Grethe Moell Pedersen
L'intérieur de la coquille d'abalone après avoir enlevé la poudre de quartzite. © Grethe Moell Pedersen