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Iter, le gouffre sans fond
Le coût exorbitant de ce réacteur thermonucléaire est-il réellement justifiable ?
Par Yves COCHET
Yves Cochet est député (Verts) de Paris, ancien ministre de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement.
vendredi 01 juillet 2005
Après d'ultimes marchandages entre l'Union européenne et le Japon, un accord a été conclu sur l'implantation du projet Iter (International Thermonuclear Experimental Reactor) à Cadarache. Jacques Chirac s'y est précipité triomphalement, mais peu de personnes s'interrogent sur la viabilité technique et économique du projet. Les dépenses sont estimées à 4,6 milliards d'euros pour la construction et 4,8 milliards d'euros pour dix à vingt ans de fonctionnement. A ce niveau de financement, il tombe sous le sens que décideurs et citoyens auraient dû être réellement informés des enjeux du projet.
Quatre questions se posent : la fusion thermonucléaire pourrait-elle répondre aux défis énergétiques futurs ? Serait-elle une source «propre» et «illimitée» ? Iter pourra-t-il faire avancer significativement la recherche dans ce domaine ? Iter sera-t-il une opportunité de développement pour la région Paca ?
Depuis plus d'un demi-siècle, la fusion est un mythe de la recherche fondamentale. L'objectif est de reproduire ce qui se passe dans le soleil et les étoiles, c'est-à-dire la réaction de fusion de deux isotopes d'hydrogène (le deutérium et le tritium) qui fournit de l'énergie avec laquelle on produirait de l'électricité. Pour que cette réaction atteigne le point où elle produit plus d'énergie qu'elle n'en consomme, il faut que le mélange deutérium-tritium ait simultanément trois caractéristiques : densité, température, temps de confinement.
A ce jour, avec les machines déjà construites, les physiciens sont parvenus à approcher les conditions requises pour un des paramètres, jamais pour les trois simultanément. Il est à craindre que ce ne soit ni pour demain ou après-demain que ce défi sera réalisé. Or il est la condition sine qua none pour que ce type de machine puisse avoir un bilan énergétique positif. Le physicien Robert Dautray, ancien Haut Commissaire du CEA, affirme que «la fusion thermonucléaire est un phénomène fondamentalement non linéaire. Elle ne peut être comptée avec certitude parmi les sources industrielles d'énergie... mais plutôt comme un sujet d'étude de physique important». De même, le prix Nobel de physique 2002, le Japonais Masatoshi Koshiba, estime qu'Iter ne pourra aboutir. Ce stade d'avancement de la recherche ne justifie en rien d'engager maintenant les dépenses démesurées d'Iter.
La source sera-t-elle «propre» ? La seule énergie qui peut être partiellement récupérée est celle des neutrons. A cette fin, ils doivent passer au travers de l'enceinte du réacteur, ce qui produira d'importantes quantités de déchets hautement radioactifs et aboutira à un problème au moins aussi important que celui des déchets des réacteurs nucléaires actuels. La source sera-t-elle «illimitée» ? Les ressources mondiales de nombreux matériaux indispensables à l'hypothétique construction d'un parc de ces machines sont largement insuffisantes. Quant à la production et au transport de tritium, un composant des bombes A et H, ils ne feraient qu'accroître les risques de prolifération nucléaire.
La construction et l'exploitation d'une machine telle qu'Iter fera vraisemblablement avancer la recherche dans ce domaine, mais cette avancée sera-t-elle significative ? Rien n'est moins sûr. Depuis cinquante ans, les promoteurs de la fusion annoncent avec une grande assurance que cela va marcher dans les cinq ans à venir. Iter n'est de toute façon qu'une installation de recherche qui ne produira jamais d'électricité et en aucun cas une installation de démonstration, annoncée, elle, pour l'horizon 2050, à trente milliards d'euros pièce, un montant qui s'ajouterait aux plus de 8 milliards d'euros dépensés pour la fusion par les pays de l'OCDE au cours de la seule décennie 90. Les fonds européens vont être multipliés par 2,6 à 2,2 milliards d'euros, soit dix-sept fois plus que pour les techniques économes en carbone. Il faudrait y ajouter les dépenses du Laser Mégajoule (en chantier près de Bordeaux), un programme militaire sur la fusion dont nous ignorons si de possibles duplications avec Iter seront menées.
Enfin, Iter sera-t-il une opportunité de développement pour la région Paca ? Certes, Iter recevra du gouvernement et de la région Paca deux chèques en blanc d'au moins 1,3 milliard d'euros, mais sa phase d'exploitation apportera peu à la région, car la plupart des dispositifs expérimentaux et des équipes techniques viendront des autres partenaires. Aussi, une étude indépendante sur tous les aspects du projet s'impose aujourd'hui.
Comment donc justifier cette fuite en avant ? Il est fort à craindre que les puissants lobbies nucléaires des pays soutenant Iter aient trouvé là un filon juteux pour remplir leur carnet de commandes, loin de toute transparence et de toute efficacité énergétique. J'estime, au contraire, que la répartition de cette manne financière pour la région Paca doit suivre le principe «alter Iter» : 1 euro pour Iter = 1 euro pour la sobriété énergétique et les énergies renouvelables. Ce serait une réponse immédiate et réelle aux problèmes posés par la déplétion des hydrocarbures et le changement climatique.
source :
http://www.liberation.fr/page.php?Article=308054