Le Cern envisage la construction d'un LHC de 100 kilomètresDu 12 au 14 février 2014, environ 300 physiciens et ingénieurs vont se réunir à l’université de Genève pour réfléchir aux prochaines générations de machines à construire pour explorer le monde de la physique des hautes énergies. On parlera beaucoup de versions géantes du LEP et du LHC, qui prendraient place dans un tunnel de 80 à 100 kilomètres de long. Le Very High Energy Large Hadron Collider (VHE-LHC) ferait collisionner des protons à 100 TeV.
Le TLEP est un collisionneur électron-positron de haute luminosité destiné à l’étude détaillée du boson de Brout-Englert-Higgs et de la physique de l'interaction électrofaible. Comme pour le Lep, son prédécesseur, le tunnel de 80 à 100 km de circonférence qui l'abritera pourrait laisser la place vers 2040 à un collisionneur hadronique, un super LHC, pouvant faire des collisions à des énergie de 80-100 TeV. Ces machines sont étudiées dans le cadre du programme baptisé FCC (Futurs collisionneurs circulaires). © Cea, CernLa dernière pièce manquante du puzzle du modèle standard de la physique des particules a finalement été trouvée, avec la confirmation de l’existence du champ de Brout-Englert-Higgs (BEH) dans la nature. Les physiciens savent bien cependant que le modèle standard fait lui-même partie d’un puzzle beaucoup plus vaste, dont on sait qu’il a à voir avec la matière et l’énergie noires, l’évaporation quantique des trous noirs et la cosmologie. On s’attendait à ce que les collisions de protons au LHC nous donnent rapidement de nouveaux éléments à son sujet. Ce ne fut pas le cas.
Le champ de BEH nous offre tout de même potentiellement une fenêtre sur de la nouvelle physique, car via ce qu’on appelle les couplages de Yukawa, il semble être à l’origine des masses des quarks et des leptons du modèle standard. Ces couplages sont autorisés par les équations et les symétries du modèle standard, mais ils ne s’en déduisent pas. Faire leur étude en détail pourrait donc nous permettre de remonter à une théorie plus profonde et plus large, dictant les propriétés des champs de force et de matière.
De la supersymétrie à la split supersymmetryL’existence du boson de Brout-Englert-Higgs pose certains problèmes que l’on peut résoudre en postulant l’existence d’une nouvelle symétrie dans la nature : une supersymétrie. Elle permettrait d’unifier naturellement la force électrofaible avec la force nucléaire forte. Elle prédit naturellement l’existence de particules de matière noire, et elle est potentiellement très bavarde sur la nature de l’énergie noire et même de la gravitation. Les théories supersymétriques les plus simples prédisaient un zoo de nouvelles particules dont les traces auraient dû être facilement décelables dans les produits des collisions de protons en dessous de 10 TeV au LHC. Il semble maintenant clair qu’il va falloir monter en énergie pour voir ces nouvelles particules… en supposant qu’elles existent bel et bien. Toute la question est de savoir jusqu’où aller : 14 TeV ? 1.000 TeV, ou plus encore ? Nul ne le sait vraiment...
Une présentation du Cern en trois minutes. Le LHC qu’il abrite n’a pour le moment pas permis l’observation de nouvelles particules prédites par certaines théories supersymétriques. © CernIl existe tout de même une classe de théories supersymétriques dont on parle de plus en plus depuis quelque temps, et que l’on appelle en anglais split supersymmetry. Elle permet d’espérer voir des traces de la supersymétrie en dessous de 100 TeV, et résout en prime quelques difficultés concernant des conflits possibles entre l’existence de particules de matière noire supersymétriques et la nucléosynthèse primordiale, un des piliers de la théorie du Big Bang.
Faire des mesures très précises des couplages de Yukawa avec le boson de BEH et espérer découvrir des signes de la split supersymmetry (ou de la supersymétrie avec scalaires découplés, comme on dit parfois en français) requièrent de nouveaux accélérateurs. Pour le comprendre, il faut connaître quelques principes simples de la physique des accélérateurs et de la détection des particules. Il s’agit bien sûr d’atteindre un seuil énergétique donné pour produire des particules, car plus elles sont lourdes, plus il faut monter en énergie. Les nouvelles particules sont aussi créées dans les collisions selon des lois de probabilité bien déterminées. Plus elles sont rares, plus il faut un grand nombre de collisions par seconde pour les observer. Il est donc nécessaire de disposer de faisceaux de particules avec une luminosité élevée, comme on dit dans le jargon des physiciens. Faute de quoi, même une particule comme le boson de BEH aurait fort bien pu nécessiter des siècles de collisions sans interruption pour être découverte au LHC.
Leptons ou hadrons, telle est la questionPour ce qui est des contraintes sur l’énergie, il faut savoir que des particules chargées de masse M tournant sur une orbite circulaire de rayon R et possédant une énergie E perdent cette énergie par rayonnement avec une puissance proportionnelle à E4/(R2M4). Un proton, étant environ 2.000 fois plus lourd qu’un électron, perd donc bien moins d’énergie qu’un électron. Dans tous les cas, les pertes sont d’autant plus faibles que le rayon de l’orbite est grand. Dans l’idéal, les pertes sont nulles si l’accélération se fait non plus sur un cercle mais sur une ligne. Cependant, l’avantage d’un accélérateur circulaire est que l’on peut faire passer plusieurs fois une particule chargée dans une zone où règne le champ électrique qui sert à l’accélérer. Pour monter en énergie, il vaut donc mieux des collisionneurs de protons circulaires que des collisionneurs d’électrons, qu’ils soient linéaires ou circulaires.
Malheureusement, les collisions de protons génèrent un bruit de fond important, et il est plus difficile de réaliser des mesures précises pour étudier les propriétés de particules déjà identifiées que de le faire avec des collisions d’électrons. En outre, les collisionneurs circulaires permettent d’avoir une luminosité plus importante plus facilement qu’avec deux faisceaux de particules produits par deux accélérateurs linéaires. En rassemblant toutes ces considérations, on aboutit à deux conclusions :
1.pour découvrir rapidement et facilement de nouvelles particules massives, il faut des collisions de hadrons, protons ou antiprotons ;
2.pour effectuer une étude fine de la physique associée à ces nouvelles particules, une fois que l’on sait exactement quoi et où chercher, le choix de collision d’électrons et de positrons, voire de muons et d’antimuons (qui sont des leptons plus lourds que les électrons) s’impose, et si possible avec des accélérateurs linéaires.
Vers un LHC de très haute énergie à l’horizon 2040 ?Tout ceci explique pourquoi la découverte des bosons W et Z a d’abord été faite avec des collisions de protons et d’antiprotons au Cern. Une étude fine de leurs propriétés a ensuite été conduite avec le grand collisionneur électron-positron, ou LEP (de l'anglais Large Electron Positron collider), dans l’espoir déjà à l’époque de trouver des traces de l’existence des particules supersymétriques et du boson de Brout-Englert-Higgs. Cela explique aussi pourquoi parallèlement à la mise en service du LHC, des études ont été menées pour l’ILC. Un tel accélérateur permet de bien connaître les propriétés physiques du boson de BEH, notamment les couplages de Yukawa. Si l’on découvrait malgré tout des particules supersymétriques à partir de 2015, avec le redémarrage du LHC, l’ILC pourrait là aussi permettre de mesurer précisément bien des propriétés de ces particules.
Le physicien Savas Dimopoulos est célèbre pour ses multiples contributions à la physique des hautes énergies. On lui doit notamment le Minimal Supersymmetric Standard Model (MSSM), la plus simple extension supersymétrique du modèle standard. Avec le physicien Nima Arkani-Hamed, on lui doit aussi la split supersymmetry, une autre extension supersymétrique du modèle standard. © Université StanfordMais si de la nouvelle physique ne peut émerger qu’à plusieurs dizaines de TeV, il faut voir plus grand. C’est ce qu’étudient environ 300 physiciens et ingénieurs à l’université de Genève du 12 au 14 février 2014. Au programme des discussions, entre autres, un triple LEP, le TLEP, qui serait donc un équivalent du LEP, mais pouvant atteindre des énergies d’au moins 240 GeV dans des collisions, c'est-à-dire trois fois celles du LEP. Il faudrait pour cela que la machine soit construite dans un tunnel de 80 voire 100 kilomètres de long. Comme pour le LHC, ce tunnel pourrait ensuite servir à la construction du Very High Energy Large Hadron Collider (VHE-LHC). Cette fois, on prévoit d’atteindre des énergies de 100 TeV.
Il est difficile de dire si de tels géants seront vraiment construits. En tout cas, il faudra probablement attendre au moins jusqu’à l’horizon 2030, voire 2040. Avant cela, il est prévu d’augmenter la luminosité du LHC et finalement l’énergie de ses faisceaux avec d’abord la réalisation d’un LHC à haute luminosité (High Luminosity Large Hadron Collider, HL-LHC) et ensuite d’un LHC à haute énergie (HE-LHC) dans le tunnel actuel. Il faudrait sans doute que des signes convaincants d’une nouvelle physique à portée de main émergent rapidement. Comme en témoigne la physicienne Lisa Randall, le temps n’est pas à l’optimisme pour le financement de la recherche en physique fondamental, même en ce qui concerne la fusion contrôlée avec Iter. À moins que les prévisions d’une ère d’abondance imminente par Peter Diamandis soient exactes, on ne voit pas comment ces projets pharaoniques pourraient voir le jour si on ne découvre rien d’autre que le boson de BEH avant 2020. Les crédits iront alors plus probablement vers le développement des neurosciences et des nanotechnologies, débouchant sur l’exploitation de l’énergie solaire et la nanomédecine.
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