Les deux sondes Viking de la Nasa, arrivées sur Mars en 1976, ont-elles découvert une activité biologique ? Non, affirme la communauté scientifique depuis trente-six ans. Si, rétorquent certains. Le débat vient d’être relancé avec une nouvelle étude, menée par deux anciens collaborateurs de la mission de la Nasa, dont les résultats montreraient au moins la possibilité d’une activité biologique. Depuis trente-six ans, les résultats scientifiques des deux sondes Viking 1 et 2, qui se sont posées sur la Planète rouge le 20 juillet et le 3 septembre 1976, sont l’objet de discussions et de controverses. À bord de ces engins, trois expériences étaient chargées de repérer l’éventuelle activité biologique de micro-organismes du sol martien. Il s’agissait de détecter une production ou une dégradation de molécules organiques, qui se manifesterait par des émissions de dioxyde de carbone (CO2) ou de méthane. Des réactions chimiques ont bien été mises en évidence mais leurs caractéristiques ont fait conclure à une origine purement chimique, notamment par l’action de produits fortement oxydants. Le perchlorate, présent dans la solution de lavage des instruments des Viking, a été accusé et, entre 2008 et 2010, la sonde Phoenix en a justement trouvé dans le sol que ses instruments ont analysé, ce qui aurait d'ailleurs pu, selon certains, fausser les analyses des Viking.
Une quatrième expérience consistait à détecter des molécules organiques (des composés du carbone, donc), dans le sol martien. Baptisée GC-MS, elle reposait sur un chromatographe en phase gazeuse (GC), qui sépare les constituants d’un mélange, et un spectromètre de masse (MS), qui détermine la nature chimique de chacun d’eux. Cette instrumentation n’a pas détecté de molécules organiques dans le sol de Mars.
Depuis cette époque, ces conclusions ont été contestées par une minorité de scientifiques, qui pointent des défauts des expériences ou une sensibilité trop faible. En 2006, par exemple, l’équipe de Rafael Navarro-Gonzalez a montré que le GC-MS ne pouvait détecter les molécules organiques, pourtant présentes, dans des échantillons de sols désertiques provenant notamment de l’Antarctique ou de l’Atacama.
Carl Sagan devant la maquette d'un atterrisseur Viking 1. © NasaLes expériences de Viking font toujours parler d’elles Aujourd’hui, une équipe revient à la charge, avec une nouvelle analyse de l’expérience dite LR, pour Labeled released, dans un article publié par la revue sud-coréenne en ligne Journal of Aeronautical and Space Sciences. Parmi les signataires on trouve Gilbert Levin, qui a participé à la mise au point des expériences embarquées par Viking et qui est toujours resté persuadé qu’elles ont effectivement mis en évidence une activité biologique. L’équipe comprend également Joseh Miller (Keck School of Medicine, University of Southern California), qui est neurobiologiste et pas un spécialiste d’exobiologie ni de géologie martienne, mais qui a collaboré avec Gilbert Levin.
Dans l’expérience LR, un échantillon de sol martien est placé dans une enceinte contenant une solution nutritive dont les composés ont été marqués au carbone 14 (radioactif, donc). Après incubation, un détecteur recherche le dégagement de CO2 radioactif, qui démontrerait la dégradation des molécules organiques de la solution nutritive. C’est bien ce qui a été observé : du dioxyde de carbone radioactif apparaît rapidement dans l’enceinte, alors que ce n’est pas le cas dans une autre enceinte qui a reçu des échantillons de sol martien préalablement stérilisé par chauffage. Une troisième expérience, dont l’enceinte subit un chauffage à près de 50 °C, ne produit qu’un faible dégagement et, enfin, aucune production de dioxyde de carbone n’apparaît avec des échantillons de sol restés plusieurs mois enfermés avant l’expérience.
Une activité qui ressemble à celle de la vie Cependant, ce dégagement de dioxyde de carbone radioactif présente une variation dans le temps qui colle mal avec l’activité de micro-organismes. Il est tout d’abord très fort, ce qui impliquerait une grande quantité d’organismes vivants, donc une forte teneur en matière organique qui aurait dû être repérée par l’expérience GC-MS. Elle décroît ensuite rapidement et, enfin, la solution nutritive est à peine entamée. Ce résultat, qui ressemble à une bouteille à moitié vide ou, selon le point de vue, à moitié pleine, a laissé un clivage entre ceux (peu nombreux) qui en concluent à la présence de micro-organismes et ceux (tous les autres) qui déduisent de simples réactions chimiques.
Joseph Miller et ses coéquipiers se sont justement attelés à l’analyse fine, et même mathématique, de l’évolution dans le temps des dégagements de gaz carbonique radioactifs. Ils l’ont comparée à des expériences équivalentes effectuées sur Terre et faisant intervenir ou non des phénomènes d'organismes vivants. Pour eux, il apparaît un rythme circadien dans les activités mesurées par les expériences LR des sondes Viking et les variations montrent également « une grande complexité ». Selon leurs conclusions, les émissions gazeuses observées dans les enceintes ressemblent seulement à des modèles terrestres dans lesquels interviennent des organismes vivants. À l’inverse, les résultats obtenus dans les enceintes témoins évoquent, eux, ceux donnés par des expériences purement chimiques.
Onze minutes d’une superbe animation sur la mission MSL, de la Nasa. Après son arrivée sur Mars, le 6 août 2012, le rover Curiosity, pesant près de 900 kg, se fera géologue et analysera le sol autour de lui durant une année martienne. Parmi ses instruments, on remarque ChemCam, qui associe un tir laser de précision, vaporisant à distance et ionisant un fragment de roche, pour l’analyser par spectroscopie derrière un petit télescope. Le laboratoire Sam analysera des échantillons de sols et d’atmosphère pour y rechercher des molécules organiques et y traquer les différents isotopes du carbone et d’autres atomes. © JPL/YouTubeAffaire à suivre grâce à MSL Les auteurs, qui n’affirment pas avoir découvert la vie sur Mars, concluent qu’il y a là un nouvel indice d’une activité biologique possible dans le sol martien. De toute façon impossible à la surface même, à cause de la basse pression et des ultraviolets, la vie telle que nous la connaissons n’est imaginable que dans le sous-sol. Et, comme le souligne Joseph Miller, si vie martienne il y a, elle diffère sans doute de la nôtre et son activité peut nous surprendre. Bref, nous avons encore le droit de rêver à des microbes martiens.
L'argument ne convainc guère André Brack, spécialiste d'exobiologie et directeur de recherche honoraire au centre de biophysique moléculaire du CNRS à Orléans. « L'analyse mathématique de la complexité des dégagements gazeux est menée correctement mais le problème réside dans les échantillons témoins analysés pour faire apparaître les différences entre "inerte" et "biologique". Ils ne sont pas du tout convaincants.
-Les témoins terrestres de sols martiens "inertes" ne représentent pas nécessairement les dits sols martiens, très mal connus à ce jour quant à leur degré d'oxydation.
-Les contrôles martiens à bord des Viking ont été "stérilisés" par chauffage à 160 °C. Un tel chauffage peut très bien avoir modifié la nature oxydante du sol martien au point de le rendre inerte.
Dans ces conditions, l'explication la plus probable reste la réactivité d'un sol oxydant "non vivant". »
Actuellement en route vers la Planète rouge, le rover Curiosity de la mission MSL (Mars Science Laboratory) embarque des instruments sophistiqués, dont un chromatographe et un spectromètre de masse, capables d’analyser avec précision des échantillons de sol qu’il prélèvera avec une pelle. Il commencera à travailler au mois d’août prochain et poursuivra ses expériences durant deux ans (terrestres), pour nous donner de nouveaux renseignements sur la composition du sol martien.
C'est l'opinion d'André Brack : « On en saura beaucoup plus avec cette sonde. Pour s'en convaincre, il suffit de regarder cette animation [celle proposée ci-dessus, NDLR] », qui ajoute que « Le projet d'une mission européenne Exomars connaît actuellement de grandes difficultés. Il serait vraiment dommage que l'Europe reste à la traîne dans l'exploration de Mars après l'immense succès de l'orbiteur Mars Express ».
Après les missions sur le sol ou en orbite, la Planète rouge abrite encore de nombreux mystères, qui méritent sûrement notre attention...
source