Génomique : l'étrange monsieur Y
LE MONDE | 29.01.10 | 15h53 • Mis à jour le 29.01.10 | 19h48
Le chromosome Y ne paie pas de mine. Des 46 chromosomes humains, c'est l'un des plus petits. Pourtant, il porte des informations essentielles : celles qui commandent le développement d'une cellule-oeuf en garçon. Grâce à son séquençage, en 2003, on a commencé à comprendre quels en sont les mécanismes. Mais la comparaison avec le Y d'autres primates pourrait dévoiler des informations capitales sur l'évolution de l'homme en tant qu'espèce.
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Eclairage Un chromosome longtemps délaissé par la recherche
C'est ce que vient de révéler un article publié le 14 janvier dans la revue Nature, où des chercheurs américains, encadrés par David C. Page, directeur du Whitehead Institute du Massachusetts Institute of Technology (MIT), présentent une comparaison entre le Y de l'homme et celui du chimpanzé, notre plus proche parent. Les chercheurs ont eu la surprise de constater que le Y était la portion du génome humain qui avait connu le rythme de modification le plus élevé au fil de l'évolution : alors que le génome de l'homme et celui du chimpanzé dans leur ensemble sont identiques à plus de 99 %, les séquences du Y des deux espèces ne correspondent qu'à 70 %.
Jusqu'alors, les chercheurs pensaient que le Y humain avait presque fini d'évoluer. Son séquençage avait suggéré qu'il ne lui restait plus que des fragments d'ADN dégénérés, et des gènes indispensables à la sexualité. Or, David C. Page et ses collègues ont constaté que la partie qui contient les gènes importants, le MSY (ou région spécifique mâle) différait plus chez les deux espèces que d'autres régions du génome : ce qui était censé être le plus stable au cours de l'évolution l'est finalement beaucoup moins qu'escompté !
Le MSY est composé de trois types de séquences : des gènes masculinisants, les seuls à avoir un rôle avéré dans l'apparence extérieure mâle, des séquences issues de gènes dégénérés du chromosome X et des séquences palindromiques, c'est-à-dire qui se lisent de façon identique dans un sens ou dans l'autre. La différence entre le chimpanzé et l'homme est essentiellement due à ces dernières, qui seraient capables d'échanger du matériel génétique au sein d'un même chromosome et ainsi de varier rapidement. Ce mécanisme pourrait permettre de se débarrasser des séquences d'ADN égoïstes qui se multiplient dans le génome en provoquant parfois des dégâts.
En plus de ces échanges, les chercheurs proposent trois explications à la divergence rapide des chromosomes Y de l'homme et du chimpanzé : le rôle très important de certains gènes qui empêche leur perte ; des effets "d'auto-stop génétique", c'est-à-dire la préservation de certaines portions pas indispensables mais proches de gènes capitaux et préservés ; enfin, un comportement sexuel différent. Chez le chimpanzé, il y a, en effet, une forte compétition entre individus pour la reproduction, puisque plusieurs mâles peuvent s'accoupler avec une femelle pendant ses chaleurs.
Le chromosome Y reste donc toujours surprenant. Pourtant, lorsque les chercheurs ont commencé à s'y intéresser au XXe siècle, ils ne cherchaient qu'une chose : le gène masculinisant. On savait que les hommes avaient 22 paires de chromosomes non sexuels et deux chromosomes sexuels X et Y, alors que les femmes avaient deux X. Dès 1959, on avait compris que le chromosome Y était responsable de la masculinisation grâce à l'étude de deux syndromes : celui de Turner, où des individus n'ayant qu'un X se différencient en femmes, et le syndrome de Klinefelter, où des individus ayant trois chromosomes sexuels, XXY, se développent en hommes.
La chasse aux gènes responsables de la masculinisation était lancée. Dans les années 1990, le gène SRY, pour "sexe region Y" fut découvert. Son expression permet la différenciation d'un amas de cellules, les crêtes génitales, en testicules, au cours de la septième semaine embryonnaire. Lorsqu'il fait défaut, les crêtes génitales donnent naissance aux ovaires. On a ainsi longtemps considéré le chromosome Y comme le chromosome "masculinisant", par rapport à un sexe féminin "par défaut". Mais le chromosome Y a perdu de sa superbe : on a, depuis, découvert des gènes, sur le chromosome X, qui inhibent l'expression des gènes masculinisants.
En outre, cet "avorton" ne serait qu'un X dégénéré. Il y a quelque 200 millions d'années, X et Y n'étaient rien d'autre qu'une paire banale de chromosomes ; le sexe était alors sûrement déterminé, lors de la gestation, par l'environnement, comme chez les tortues où les oeufs donnent des mâles si la température externe est inférieure à un certain niveau, et des femelles dans le cas contraire. Une mutation serait alors apparue sur un des chromosomes, donnant naissance au gène SRY. Les deux chromosomes auraient ensuite évolué de façon séparée.
C'est là que la dégénérescence a commencé. Chaque chromosome normal d'une paire peut échanger du matériel génétique avec l'autre lors de la division cellulaire, et cet échange permet de "réparer" des mutations. Mais X et Y ne le peuvent quasiment pas. Donc lorsqu'une mutation survient sur Y, le gène, inutilisable, est perdu. Au contraire, si elle survient sur X, le gène peut être sauvé par échange de matériel entre les deux chromosomes X, chez la femme. X s'est donc maintenu au cours de l'évolution, contrairement au Y qui a perdu la moitié de ses gènes.
Si Y ne peut pas échanger de matériel génétique avec le X, il peut en échanger avec lui-même. A cause des palindromes, il arrive qu'il se forme un chromosome Y géant, susceptible de se casser pour former deux chromosomes pas toujours fonctionnels. En fonction de l'état du gène SRY, la personne peut avoir un sexe masculin ou féminin, et parfois même hybride : si, au cours d'une division, le chromosome se casse et qu'une cellule fille emmène un SRY fonctionnel, et l'autre pas, le patient peut avoir une gonade mâle et une gonade femelle ! Alors Y, responsable de tous les maux ? Des mutations de l'X engendrent aussi des maladies, essentiellement chez l'homme, puisque le Y apparié ne peut compenser ces anomalies.
Mais le Y présente bien des avantages pour étudier l'histoire humaine. Puisqu'il n'échange rien avec X, un garçon possède la copie exacte du chromosome Y de son père. On peut donc suivre de proche en proche la filiation entre individus mâles. C'est notamment cette propriété qui a permis de consolider l'hypothèse de l'origine africaine de l'homme moderne, Homo sapiens. Dans le même esprit, une étude, publiée dans PloS Biology le 19 janvier, s'est intéressée à l'origine de l'agriculture en Europe il y a dix mille ans. Serait-elle née de la migration de fermiers du Proche-Orient, ou d'un simple transfert de technologie aux chasseurs-cueilleurs qui habitaient nos régions ? Le Y est formel : sa diversité ne peut provenir que de la migration de peuples du Proche-Orient, qui auraient eu plus de succès auprès des femmes que les hommes locaux !
Séquence conservée, mais sans cesse en mouvement, structure capitale mais cause de maladies, l'apanage des hommes est, en tout cas, une source fertile de révélations.
Agathe Chaigne
http://www.lemonde.fr/planete/article/2 ... L-32280184