La voiture électrique est-elle la panacée ?
septembre 2000 - révisé septembre 2003
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Cela fait déjà quelques temps que la voiture électrique est volontiers considérée comme une solution à bien des problèmes, et notamment aux deux nuisances le plus souvent évoquées lorsque l'on parle de transports :
pas de bruit
pas de pollution en apparence.
Or la réalité est hélas moins rose :
l'absence de bruit est surtout valable à petite vitesse,
le bruit des véhicules est pour l'essentiel du bruit de roulement dès que l'on dépasse 50 à 60 km/h, le bruit du moteur devenant alors secondaire,
la petite vitesse suppose que l'on ne s'en serve qu'en ville, là où présisément les voitures nombreuses - électriques ou pas - engendrent d'autres problèmes, comme par exemple la congestion, la nécessité de disposer d'espaces importants pour la voirie et les parkings, etc, qui ne ne serait pas résolus avec la voiture électrique,
l'absence de pollution de la voiture électrique est une vue de l'esprit :
l'électricité ne peut se produire de manière totalement propre, et la voiture électrique pollue exactement comme la centrale électrique qui a fait l'électricité.
En particulier si l'electricité est majoritairement fabriquée avec du charbon, du pétrole ou du gaz naturel, ce qui est le cas presque partout sauf en France, en Suisse et en Suède (cf. graphique ci-dessous), alors les émissions de CO2 (gaz à effet de serre) sur l'ensemble du cycle sont supérieures ou égales à ce qui est engendré en consommant directement du pétrole. Cela est moins vrai avec du gaz (les émissions sont alors voisines, voire un peu inférieures, mais le gaz est de loin la ressource fossile la moins abondante dans les réserves).
Structure de la production d'électricité dans divers pays européens en 2001. Source : Ministère de l'Industrie, Observatoire de l'énergie.
Pour l'ensemble des pays de l'OCDE en Europe, l'électricité est faite pour 30% au charbon, 5% au pétrole, 16% au gaz, 30% avec des centrales nucléaires, 17% avec des barrages, and 3% d'une autre manière (ce qui comprend la géothermie, le solaire, l'éolien, etc). Un gros 50% de l'électricité européenne vient donc des combustibles fossiles. La moyenne mondiale d'électricité faite avec des combustibles fossiles est plus proche de 66%.
Enfin électriser toutes les voitures à parc constant suppose
que l'on dispose, de par le monde, de quoi faire quelques centaines de millions de batteries (et 3 milliards si nous voulons une voiture par adulte en âge de conduire). Une telle vulgarisation serait-elle compatible avec les ressources existantes pour les matériaux nécessaires ?
que l'on construise quelques centrales supplémentaires ! Faisons un calcul pour la France. La consommation actuelle des transports est de 54 Millions de tonnes équivalent pétrole (1 tonne équivalent pétrole = 11.600 kWh ; voir définitions ici), soit, à énergie finale constante, environ 600 TWh (1 Twh = 1 milliard de kWh). Certes la chaine électrique est 2 à 3 fois plus efficace que le moteur à essence, et donc pour faire avancer nos voitures électriques il nous faut "juste" de 200 à 300 TWh pour électrifier 30 millions de voitures, soit de 40% à 60% de la production électrique française actuelle.
Si l'électricité est faite avec un combustible fossile, comme le rendement des centrales est de 50% aujourd'hui au mieux, et que la cogénération pose le problème de l'emploi simultané de la chaleur et de l'électricité (en mettre partout supposerait que nous n'ayons de l'électricité que l'hiver ou lorsque nous avons beaucoup d'industries consommatrices d'énergie !), nous aurions en fait besoin de 400 à 500 TWh d'énergie primaire pour fournir ces 200 à 250 TWh d'électricité.
"Tout électrique" signifie donc, en gros, une augmentation de 50% du parc de centrales en France, et si ces centrales fonctionnent aux hydrocarbures (gazeux, liquides ou solides) on ne gagne pas grand-chose question CO2. C'est faisable, mais pas totalement anodin !
En conclusion penser qu'il faudrait massivement équiper les zones urbaines avec des véhicules électriques pour résoudre le problème de la pollution locale - ce qui est envisagé très sérieusement en Californie, par exemple - est
proposer un remède pire que le mal si le pays concerné produit son électricité massivement à base de charbon (ce qui est le cas dans bien des Etats américains). Ce faisant, on évite bien sur une partie de la pollution urbaine - phénomène réversible à court terme - mais au prix d'un accroissement de leur contribution à l'effet de serre, phénomène irréversible à l'échelle d'une vie humaine.
oublier une chose : la production additionnelle d'électricité est très loin d'être "dans l'épaisseur du trait" avec les puissances de voitures auxquelles nous sommes acoutumés (je ne dirais pas cela si on remplacait toutes les voitures à essence par des vélos électriques !).
oublier que la congestion urbaine, qui provient uniquement de l'existence d'un grand nombre de véhicules individuels, ne disparaîtrait pas avec la voiture électrique. Ce constat est, dans une moindre mesure, aussi valable pour le bruit.
La voiture électrique est donc une idée aussi bonne que le contexte dans lequel elle prend place : électrifier le parc de voitures si celui-ci doit être divisé par 2, utilisé 4 fois moins, composé de véhicules à faible puissance, et alimenté avec de l'électricité produite de manière relativement propre (solaire ou nucléaire) est assurément une solution à étudier.
Mais prôner l'électrification massive du parc actuel (ou pire : à venir en prolongation tendancielle) en conservant une mobilité en voiture équivalente à celle que nous avons maintenant (ou pire : à venir en prolongation tendancielle) est par contre une "solution" qui ne fait que déplacer le problème initial, sans le résoudre.
Cette réflexion ne vaut pas pour les voitures dites hybrides, qui couplent un moteur thermique et un moteur électrique, et sont plus efficaces que les voitures à essence (parce qu'elle récupèrent l'énergie cinétique au freinage pour la convertir en électricité, et parce qu'elles fonctionnent sur le moteur électrique aux bas régimes moteur, là où le moteur à essence a un très mauvais rendement), car ces dernières ne nécessitent pas la construction de centrales supplémentaires. Mais ce procédé n'éradique pas pour autant tous les inconvénients : il faut encore de l'essence, même si c'est moins (et l'essence n'est pas une ressource renouvelable), et avec un étalement urbain croissant nous aurons une congestion croissante.