Technologie du bouclier propulseur ionique du B-2A Spirit
Fondamentalement, le générateur de bouclier propulseur ionique du Spirit n'est pas différent du condensateur asymétrique décrit précédemment. Dans la pratique toutefois, le système est beaucoup plus complexe car il doit remplir plusieurs fonctions: générer un bouclier ionique et une force de propulsion complémentaire pour franchir le mur du son, contrôler les écoulements aérodynamiques de l'avion, et enfin, protéger l'avion contre les armes électromagnétiques. Dans la pratique, le Spirit possède deux systèmes indépendants pour générer le bouclier propulseur ionique. L'avant du Spirit comprend cinq antennes radar à synthèse d'ouverture, réparties suivant une ligne à l'intérieur de tout le bord d'attaque. La première de ces antennes, que l'on nommera ici par convention antenne axiale, s'étend de part et d'autre du nez de l'appareil sur environ 8% de l'envergure. Deux autres antennes, conventionnellement baptisées antennes médianes, sont placées dans la zone du bord d'attaque située devant les moteurs du Spirit. Elles sont légèrement plus larges que les entrées d'air des réacteurs. Les deux dernières antennes s'étirent le long des bords d'attaque, en partant des bords extérieurs des antennes médianes, jusqu'au extrémités distales des deux ailes. On les baptisera antennes distales. Une électrode pariétale, c'est-à-dire placée sur la paroi, court tout le long du bord d'attaque. Traversée par un courant à haute tension, cette électrode pariétale permet de polariser positivement l'air ionisé par les antennes à synthèse d'ouverture. À l'activation du bouclier, l'ensemble des antennes du bord d'attaque génère deux faisceaux électromagnétiques focalisés suivant une ligne sur toute l'envergure de l'aile. Ceci a pour effet d'ioniser l'air en contact avec le bord d'attaque. Les deux faisceaux ionisant l'air par résonance électromagnétique sont émis à deux fréquences différentes proches de trois gigahertz. L'antenne axiale et les deux antennes distales ont le même mode de fonctionnement. Les antennes médianes émettent des impulsions plus puissantes, susceptibles de varier en fréquence, en intensité et en géométrie. Les antennes médianes du radar APQ-181 fonctionnent en mode radar classique lorsque le bouclier ionique est désactivé. En résumé, les antennes en réseau de phase à synthèse d'ouverture et l'électrode pariétale forment le ''fil'' du condensateur asymétrique décrit précédemment dans l'article. La ''plaque'' du condensateur asymétrique est générée de plusieurs manières. Tout d'abord, les surfaces d'intrados et d'extrados en uranium appauvri sont soumises à une tension de puissance moyenne et de polarité négative. Cela suffit à créer un bouclier ionique antiradar uniforme, mais reste insuffisant pour créer une force de propulsion. L'extrados du Spirit est mis sous tension par des électrodes pariétales placées sous la surface des capotages des moteurs. La localisation du générateur de tension sous les capotages a pour effet de créer un volume d'air ionisé non uniforme, l'air étant beaucoup plus ionisé au-dessus des capotages moteurs ainsi que du fuselage encadré par ceux-ci. C'est donc dans cette zone qu'on accélèrera l'air ionisé lors du passage en propulsion ionique.
L'augmentation de tension est obtenue par une intense ionisation des gaz éjectés par les réacteurs. Cette technique présente aussi l'avantage d'abaisser brutalement la température des gaz. Voici maintenant, détaillées pour la première fois, les techniques utilisées par le B-2 pour générer les quantités énormes d'énergie électrique nécessaires au bouclier propulseur ionique.
Comme tout bombardier, le Spirit dispose de générateurs électriques entraînés par les réacteurs. Cela lui permet de disposer en permanence d'une énergie électrique de l'ordre du mégawatt, ce qui assure l'alimentation des radars ainsi que de tous les systèmes électriques de bord. Cette énergie est suffisante pour générer la ligne d'ionisation sur le bord d'attaque du Spirit. Elle est par contre tout à fait insuffisante pour alimenter en continu l'ensemble du générateur de bouclier propulseur ionique. Afin de fournir les dizaines de mégawatts nécessaires au bouclier propulseur ionique, les ingénieurs de Northrop font appel à la technique de la torche à plasma ionique ou générateur à jet de flamme. Cette technique fut brevetée dans les années 50 par le pionnier de la propulsion électrocinétique Townsend Brown. Des électrodes en pointes, montées dans les chambres de combustion des réacteurs, sont traversées par des décharges à haute tension. Ces décharges produisent des ions négatifs dans le flux d'échappement. Le gaz négativement ionisé se décharge à travers les tuyères à l'arrière de l'avion. Comme les ions négatifs sont éjectés à grande vitesse, une différence de potentiel croissante se développe entre le corps du réacteur et l'air ionisé derrière le Spirit. En isolant électriquement les moteurs on amène les charges positives sur l'électrode pariétale du bord d'attaque via des conducteurs, ce qui permet de charger positivement la couche d'air ionisé devant l'aile. Les flancs ainsi que la face inférieure des tuyères du Spirit sont tapissées de grilles d'électrodes qui collectent quelques électrons à haute énergie et les recyclent dans le générateur d'ions de la tuyère. Une différence de potentiel d'environ 15 millions de volts est ainsi crée à la surface du B-2. Le kérosène utilisé comme carburant des réacteurs du Spirit n'est pas conducteur, il faut donc le rendre conducteur avant de l'enflammer et de l'ioniser dans la chambre de combustion. Pour cela, on mélange un polymère de carbone 60 (Fullerène ou C 60) au kérosène et on le ionise avec une décharge électrique avant de l'injecter dans la chambre de combustion. Le Spirit n'étant somme toute qu'un gigantesque condensateur asymétrique, il est impératif d'équilibrer les charges positives et négatives dans toutes les phases de vol. Ce résultat est obtenu très élégamment en modulant la fréquence et la puissance des impulsions émises par les deux antennes médianes du radar APQ-181. Lorsque le Spirit vole la nuit, l'ionisation de l'air devant les antennes médianes émettant à pleine puissance génère deux rectangles lumineux de couleur dorée du plus bel effet. Le Spirit est équipé de volets ''crocodile'', c'est-à-dire de volets qui s'ouvrent simultanément vers le haut et vers le bas comme la gueule d'un crocodile. Lorsque le bouclier est actif, les deux volets intérieurs les plus proches des tuyères permettent un contrôle presque instantané de la couche d'air ionisée. Il faut savoir en effet que lorsque l'on augmente la pression d'un gaz son ionisation diminue. L'ouverture de ces volets crée en amont de l'aile une zone de surpression qui fait baisser l'ionisation. Il est donc facile de comprendre que le Spirit dispose de toute une palette de moyens permettant de contrôler les écoulements aérodynamiques autour de lui par la modulation de son bouclier propulseur ionique. Reste deux problèmes à résoudre: tout d'abord, avant que le bouclier ne soit entretenu il faut amorcer son ionisation par une décharge de grande puissance; ensuite, il faut se garder la possibilité d'augmenter instantanément sa puissance afin de se protéger d'une attaque par faisceaux électromagnétiques de puissance (armes HPRF ou HPM) ou par lasers de combat. Sur le B-2 le problème trouve sa solution grâce à des générateurs de Marx. Les générateurs de Marx comprennent une série de condensateurs de grande capacité pouvant se décharger instantanément en série. Leur recharge nécessitant plusieurs minutes, il s'agit d'un système non récurrent, le nombre de décharges disponibles dépendant du nombre de condensateurs du générateur de Marx. Il semble que sur le Spirit les condensateurs du générateur de Marx soient des bobines supraconductrices délivrant des décharges de plusieurs centaines de milliers d'Ampères.
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