Bonjour à tous.
La première partie de ce texte a été publié pour la première fois sur un forum de poésie/histoires dans ce qui était mon 666ème message. "666" était évidemment un clin d'oeil et se prêtait particulièrement bien à mon avis au contexte dans lequel l'essentiel de l'histoire se déroulait. Elle était alors découpée en trois parties que j'ai regroupées ici sans les modifier :
Ce message est mon 666ème message sur ce forum, aussi cela m’amuse-t-il de le marquer de cette empreinte particulière, en y commençant une histoire (sans aucune prétention littéraire, juste au fil de la plume) qui m’est réellement arrivée. Tout ce qui est raconté ici et qui sera éventuellement poursuivi par la suite est et sera véridique, hormis peut-être quelques oublis ou petits arrangements involontaires de la mémoire.
L’histoire se déroule en deux moments, qui se sont comme interpénétrés. Le second aura en quelque sorte comme été appelé par le premier.
Au cours de mon adolescence, je me suis fortement intéressé à ce qu’on appelle la parapsychologie avec tout ce qui peut graviter au-delà et autour : ésotérisme, spiritisme, astrologie, yoga… Le scientifique dira que dans tout ce fatras seule la parapsychologie peut éventuellement être considérée comme une science (c’est qu’il existe des chaires de parapsychologie et des gens très sérieux qui s’en occupent) alors que le reste n’est a priori bon que pour les incrédules et gogos de tout poil, sauf peut être le yoga, à condition, évidemment, de ne le considérer que comme une aimable gymnastique.
Lorsque j’ai découvert dans la ville où j’habitais l’existence de l’ « Association fraternelle de parapsychologie », je me suis empressé de m’y rendre. Harry Potter, n’était pas encore né, et je ne me méfiais donc de rien. Elle était tenue par un personnage fort sympathique et occupait le dernier étage de sa maison. L’élément principal en était une immense bibliothèque contenant plusieurs milliers d’ouvrages sur je sujet, datant pour certains de la fin du XIXème siècle. C’est ainsi que j’appris que ces pseudo sciences avaient remporté beaucoup de succès à la fin du XIXème siècle, pour décliner sensiblement au cours du XXème jusqu’à ce que la vague New-Age leur apporte une nouvelle jeunesse. J’y trouvais des livres qui me paraissaient extraordinaires, le plus impressionnant étant probablement un grand livre comprenant tout un ensemble de planches représentant les « chakras » et l’ « aura humaine», écrit par un certain Leadbeater, l’un des fondateurs de la société théosophique de France. Je découvris ainsi dans cette bibliothèque tout un ensemble de domaines qui me paraissaient absolument fabuleux.
En plus de la bibliothèque, où il était possible d’emprunter des livres, il y avait aussi des « enseignements » gratuits d’astrologie et de yoga ainsi que des séquences de spiritisme organisées de façon régulière. Ce sont ces séquences de spiritisme que j’ai trouvées les plus intéressantes et j’en suis devenu un pratiquant assidu. Elles se déroulaient une grande partie de la nuit. On n’y utilisait un guéridon, fabriqué pour la circonstance, constitué d’un plateau circulaire pouvant pivoter autour de son axe central. Les vivants présents se plaçaient tout autour du guéridon, les deux mains à plat sur le plateau, les pouces joints et les petits doigts devant toucher les petits doigts des personnes placées de chaque coté. On constituait ainsi un cercle de mains, qu’il ne fallait pas rompre sous peine de briser le lien qui nous reliait à l’au-delà.
Le cérémonial était tout le temps le même. Une fois tous assis et convenablement placés autour du guéridon, le responsable entamait une sorte de prière censée n’attirer que les bons esprits et repousser les mauvais. Puis était alors posée la question la plus importante de la soirée devant l’ensemble des membres participant à cette manifestation : « Esprit es-tu là ? Un coup à gauche pour oui, un coup à droite pour non », dans un silence quasi-religieux.
On n’utilisait en effet pas de Ouija, il nous fallait donc utiliser un code le plus simple possible pour dialoguer avec eux. Il semblerait qu’on n’ait jamais rencontré d’esprit mal latéralisé car inévitablement, au bout de quelques secondes, le plateau pivotait vers la gauche. Commençait alors tout un jeu de questions, dont la réponse ne pouvait évidemment n’être que « oui » ou « non », pour déterminer quel pouvait être cet esprit, ce qui l’amenait à se manifester parmi nous, bref, pour connaître les grands éléments de sa vie passée et actuelle.
Autant ils pouvaient être prolixes pour ce qui concernait leur vie passée, autant leur vie présente semblait être entourée d’ombres… ce qui personnellement me paraissait tout à fait regrettable ; c’est ce qui aurait été le plus intéressant. C’était le responsable qui posait les questions, pour semble-t-il garder une cohérence globale, et pour d’autres raisons, que je n’ai jamais vraiment comprises. On a eu l’honneur de la présence de personnages célèbres, tels Victor Hugo, qui fut à la fin de sa vie un spirite émérite, depuis qu’il réussit à entrer en contact avec sa fille Léopoldine, décédée une dizaine d’années auparavant. Il y en eu bien d’autres, Jésus-Christ, même une fois, mais il nous fut impossible de déterminer si c’était le véritable Jésus qui était présent, ou s’il s’agissait d’un esprit farceur. C’est qu’il existait aussi des esprits farceurs. Un bon moyen de les reconnaître était qu’ils arrivaient à se contredire ; ce qui se produisait malheureusement tout de même assez fréquemment.
De nombreuses heures s’écoulaient ainsi sans que l’on s’aperçoive vraiment que le temps passait, si ce n’est qu’au bout d’un moment, les questions étaient plus espacées, moins pertinentes, et les esprits eux-mêmes semblaient se lasser car les rotations du plateau étaient de moins en moins fortes. Il était alors temps de passer à la seconde phase de la soirée qui se déroulait elle aussi inexorablement de la même manière. Nous demandions au dernier esprit présent s’il acceptait d’apparaître devant nous, et sa réponse était chaque fois positive.
Alors nous poussions le guéridon sur le coté, tamisions la lumière de façon à rendre le lieu plus accueillant et surtout afin de mieux percevoir toute lueur inhabituelle, allumions un autre bâtonnet d’encens, pour je ne sais plus quelle raison, et nous nous installions de la manière la plus confortable possible en attendant la manifestation de notre hôte et surtout en essayant de ne pas nous endormir.
Je n’ai, pour ma part, jamais rien vu, sauf une fois …
La nuit avançait et nos esprits devenaient de plus en plus brumeux sans que rien de spécial ne se manifeste, comme à l'accoutumée, lorsque je me sentis saisi d'une impression très étrange, difficile à décrire. Mon corps semblait s'enfoncer dans une sorte de rigidité, que je me savais par une sorte d'intuition ou d'insouciance, parfaitement capable de contrôler, en même temps que deux phénomènes se déroulaient en moi :
- Mon attention fut plus particulièrement attirée par l'un de mes compagnons. Ils étaient tous, comme moi, parfaitement immobiles, ce compagnon aussi mais je vis alors dans la pénombre son visage se transformer : des cornes semblaient lui pousser sur le dessus de la tête, son allure devenait de plus en plus lugubre et son visage semblait se métamorphoser sous mon regard en le visage de l'une des représentations traditionnelles du diable.
- En même temps je me mis à ressentir au niveau du plexus solaire une impression de malaise accompagnée d'une légère crainte qui se transformait en angoisse, puis cela se fit menaçant et la menace devint rapidement plus lourde et évolua vers une sorte de terreur qui semblait devenir de plus en plus maléfique. Cette impression ne faisant que se renforcer au fur et à mesures que les secondes s'écoulaient, je décidai d'arrêter ce que j'avais initialement abordé comme un jeu et qui ne me paraissait plus vraiment maintenant en être un, et de revenir à mon état normal. Cela fut heureusement fait sans la moindre difficulté, mais il m'en restait une impression très désagréable et le sentiment d'avoir peut-être ouvert là une sorte de boîte de Pandore qu'il aurait été probablement préférable de laisser bien fermée.
J'étais parfaitement conscient qu'il n'y avait eu aucune transformation réelle, qu'il ne s'était produit là qu'une sorte d'illusion due au contexte et la fatigue. Je n'en parlai à personne mais décidai cependant de ne plus assister à aucune de ces séances.
Le temps passa et je n'y pensais absolument plus. Cet évènement n'aurait d'ailleurs présenté aucune importance particulière s'il n'avait eu son pendant quelques années plus tard sous une forme difficilement explicable.
J'étais alors à l'armée, effectuant le service militaire. C'était un week-end où nous étions un certain nombre à nous emmerder royalement, coincés dans la caserne sans avoir le droit d'en sortir, car en "disponibilité opérationnelle". Si une guerre avait éclaté nous faisions partie de ceux dont le devoir aurait été d'aller aussitôt sur le front. Mais aucune guerre n'éclata ce week-end là.
Plusieurs semaines auparavant, avec un copain, nous avions initié un nouveau jeu qui se mit à avoir par la suite beaucoup de succès dans la caserne. Nous nous étions mis à organiser des séances de spiritisme, avec pour matériel, une petite table, les cartes d'un alphabet, deux cartes supplémentaires "oui" et "non", et l'indispensable verre. Les séances se déroulaient de la même manière : à plusieurs nous nous disposions autour de la table avec chacun un doigt posé sur le dos du verre retourné, et nous posions des questions, auxquelles le verre, en se déplaçant vers les lettres, le "oui" et le "non", nous répondait. Nous nous mîmes ainsi à rencontrer des morts très intéressants particulièrement diserts sur leur passé de vivants et un peu moins il est vrai sur leur présent dans le royaume d'Hadès.
Les morts étaient d'autant plus volubiles que nous étions, ce copain et moi, inspirés, car je peux maintenant révéler sans honte que les parties étaient entièrement truquées par nous deux. Nous déplacions lui ou moi, plus ou moins à tour de rôle le verre selon notre inspiration du moment. C'était, de notre point de vue, particulièrement amusant, d'autant plus que, les soirs où ni lui ni moi n'étions présents, les personnages que nous avions inventés s'invitaient tout de même.
Ce copain n'était pas présent ce week-end là et la table resta à sa place.
Il y avait parmi nous une personne assez influençable et je décidai, gentiment - je l'aimais bien - de m'amuser un peu à ses dépends. Je lui dis que j'étais capable d'entrer dans l'esprit de certaines personnes et que je pouvais les contrôler. Pour le prouver, je lui proposai de jouer avec moi au jeu de Marienbad, une variante du jeu de Nim. Je maitrisais parfaitement l'algorithme du jeu et gagnais ou perdais quand je le désirais. Mais je ne lui présentai pas tout à fait les choses de cette manière. Je lui expliquai à la place que je pouvais directement agir sur son esprit et le faire gagner ou le faire perdre quand je le désirais. Nous jouâmes quelques temps et il s'aperçut que lorsque je lui disais que j'allais agir sur lui pour qu'il gagne, il gagnait et que lorsque je lui disais que j'allais agir sur lui pour qu'il perde, il perdait. Je crois qu'après plusieurs séances de jeu, il en était arrivé à être vraiment persuadé que j'exerçais un contrôle sur son cerveau...
Continuant sur cette lancée, je me mis ensuite à lui parler de parapsychologie, théosophie, spiritisme etc ... des domaines plus ou moins fumeux à propos desquels j'avais lu pas mal de livres, mais sans jamais aborder d'aspects plus noirs dont je me suis toujours méfié. Je ne me souviens plus évidemment du détail de ce que j'ai pu lui raconter. Je me souviens seulement que nous n'étions que tous les deux, qu'il buvait littéralement toutes mes paroles et qu'au bout d'un moment indéterminé, prenant conscience d'une sorte de pesanteur insidieuse de l'atmosphère, avec la certitude que quelque chose allait se produire, je m'arrêtai de parler...
C'est à ce moment que la seconde étape de l'événement se produisit ...
Je le vis blanchir en même temps que je sentis au niveau du plexus solaire un réel courant passer entre lui et moi, que je me souvins de tous les détails du premier épisode de cette histoire, et que je sus, sans surtout vouloir y croire, ce qui lui arrivait..., le tout en une fraction de seconde au cours de laquelle le passé et le présent s'étaient pour moi comme appelés.
Lorsque je lui demandai ce qui lui était arrivé, il me répondit avec exactement les mots que je savais et surtout redoutais qu'il allait prononcer et ce fut pour moi comme un véritable cauchemar lorsqu'il me dit :
"J'ai vu ton visage se transformer en le visage du diable".
C'était impossible qu'il me dise cela alors qu'il ignorait tout de cette histoire que j'avais moi même totalement oubliée; comment avais-je pu savoir exactement ce qu'il allait me dire ? Et quid de ce courant ressenti entre lui et moi ? Je repensais en boucle à ce qui venait de se produire. La situation était pour moi, et probablement aussi pour lui, proprement intolérable. La tension dans la pièce était extrême. Il fallait à tous prix que nous sortions trouver d'autres personnes. Nous sortîmes alors de la chambre dans laquelle nous nous trouvions et entrâmes comme deux fous dans celle d'en face. Se trouvaient là deux consignés, comme nous, assis sur leur lit, en train de discuter. Quand je leur expliquai très sommairement ce qui s'était produit, ils se mirent à se moquer de mon copain, qui préféra partir ailleurs.
Cela ne me plût pas. Désireux alors de leur faire ravaler un peu de leur superbe, je décidai de continuer avec eux sur ma lancée, et me mis à leur parler de parapsychologie, spiritisme et autre... Au fur et à mesure que le temps passait, je pris de nouveau conscience d'une atmosphère qui devenait de plus en plus pesante. Mes interlocuteurs ne disaient rien, complètement attentifs à ce que je leur racontais. Je me demandai alors à quel sorte de "jeu" j'étais réellement en train de jouer, et trouvant que cette affaire, que j'étais loin de totalement maîtriser, avait assez duré, je décidai de me taire.
Il s'écoula alors d'interminables minutes sans que personne ne bouge ou ne dise quoi que ce soit, puis l'un de mes deux interlocuteurs se leva, se mit à dire en riant jaune que ce genre d'histoires ne l'intéressait pas, et sortit.
Je ne me souviens pas de ce qui se passa juste après, mais il faut croire que l'environnement de l'armée était pour moi propice aux épreuves car quelques mois après cette aventure, c'est le visage en final beaucoup plus perturbant de la grâce que j'allai rencontrer...
Fin de cette histoire véridique, en espérant que le fait de la raconter ne contribuera pas à en prolonger les effets...
Je ne sais pas vraiment comment interpréter ce qui s'est produit. Je pense simplement que le monde de la conscience est plus vaste que ce qu'on peut habituellement en imaginer et que parfois certaines brèches peuvent y être au moins provisoirement ouvertes ... L'homme se nourrit de toutes sortes de nourritures et il existe certaines tables auxquelles il est sans doute préférable de ne pas s'assoir. Préférons leurs, par exemple, celles de la Poésie ...
