la chambre bleue a écrit:
C'est la principale hypothèse émise surtout par Maurice DÉRIBÉRÉ, auteur d'ouvrages sur l'île de Pâques mais qui n'y a jamais mis les pieds et qui, de son métier, était... opticien !
Je ne connais même pas ce Maurice Déribéré dont tu parles.
Non, l'idée d'une proto-écriture idéographique basée sur des "rébus" et à but essentiellement mnémotechnique s'est imposée tardivement dans les années 50, face aux échecs répétés des linguistes pour traduire le rongo-rongo en le considérant ou bien comme un système logographique ou comme un système syllabique.
Une équipe russe (Butinov, Knorozov et Pozdniakov) montra, statistiques à l'appui, que la fréquence des symboles du rongo-rongo ne collait pas à la structure de la langue pascuane orale. Il ne pouvait donc pas s'agir d'un système syllabique, mais bien d'un système partiellement idéographique ou/et logographique.
... Le soucis étant que le rongo-rongo ne possède qu'un petit nombre d'idéogrammes (moins de 150, mais environ 600 si on considère les ligatures et les variantes). En comparaison, des langues logographiques comme le chinois en possède près de 50 000, et l'égyptien plusieurs milliers. Une écriture avec un aussi petit nombre d'idéogramme ne pourrait coller que dans le cas d'un système syllabique ou d'un alphabet. Comme ce n'est pas le cas ici, il s'agit forcément d'une forme simplifiée d'écriture. Cqfd.
Les rongo-rongo serait donc finalement assez similaire au
script Dongba (qui est lui aussi une sorte de proto-écriture fonctionnant comme aide mnémotechnique), utilisé par les ethnies Naxi du Sud de la Chine... Script qui n'aurait jamais pu être déchiffrée par les linguistes sans l'aide d'une aide d'une personne parlant un dialecte naxi. Ce qui explique que les rongo-rongo gardent leur mystère pour l'instant.
ma chambre bleu a écrit:
Après l'étude de certaines tablettes dont celle de Mamari, on sait que certaines avaient une fonction religieuse, voire astronomique, sinon ésotérique - C'est bien plus fort que le système du Quipu qui était spécifiquement à usage commercial
En réalité, à l'heure actuelle, il n'y a que la tablette C (dite "de Mamari") qui ait été à peu près "décodée" -et elle l'a été assez tôt, à la fin du XIXème siècle, par W.J. Thomson le trésorier-payeur du bâtiment américain USS Mohican. Il s'agit en fait d'une sorte de calendrier pascuan.
On ne sait pas grand chose d'autre à propos de la signification des autres tablettes...
Les spécialistes avancent tout au plus que certaines devaient probablement servir de support à des chansons ou des récits mythologiques, mais ils n'ont pas vraiment de preuves pour l'affirmer. Ils se basent juste sur des rencontres historiques que firent les voyageurs occidentaux avec diverses personnes qui prétendaient savoir lire les rongo-rongo ; elles se rétractèrent toujours ou furent incapables de les déchiffrer au final, mais elles transmirent au moins quelques chansons et histoires qui sont considérées comme authentiquement pascuannes, et qui venaient probablement de rongo-rongo.
Toutes les interprétations (parfois fantaisistes) que l'on peut lire dans certains livres à propos des rongo-rongo ne sont que de pures conjectures.
On peut citer notamment le cas du pédiatre australien Caroll, qui voulait voir dans les rongo-rongo un mélange de différentes langues sud-américaines... Il publia plusieurs "traductions" assez farfelues.
Quand aux travaux du linguiste indépendant Fischer qui prétendait avoir décrypté les rongo-rongo (tout comme le script du disque de Phaïstos d'ailleurs), ils sont intéressants mais ne fonctionnent "à peu près" que pour une unique tablette. Toutes les autres sont des non-sens si on leur applique la méthode du Fischer...
Ah ! Et le quipu n'était pas utilisée que pour le commerce. L'administration inca y avait recours pour faire les recensements de populations ou agraires (tant d'habitant chez telle famille, tant de surface cultivée chez tel paysan, etc...). C'était un système assez complexe, mine de rien.
la chambre bleue a écrit:
On a surtout émis l'hypothèse d'un lien avec l'Amérique du sud que l'usage de la patate douce rend évident. C'est peut-être ce qui expliquerait l'existence de cette écriture ou proto-écriture, si vous voulez, car les polynésiens ne connaissaient ni l'une, ni l'autre !!
Les polynésiens connaissent l'usage de glyphes, très simples, pour marquer l'entrée dans un lieu privé ou sacré. Les pascuans ne sont donc pas partis de rien, même s'ils ont su développer leur propre système de proto-écriture.
Quand à l'origine polynésienne des rapa-nuis, elle ne fait aucun doute. Tout l'indique dans leur culture, leur mythologie, leur organisation sociale, leur langue... et cela a été confirmé par des études génétiques pratiquées sur les rares habitants de l'île de Pâques à ne pas avoir subi l'important métissage du XVIIIème siècle. D'ailleurs, les rapa-nuis eux même prétendaient dans leurs récits légendaires être issus d'un clan polynésien (des îles Marquises probablement, vu leurs indications).
Il y a peut-être eu des contacts avec l'Amérique du Sud, c'est possible, mais aucun indice ni preuve tangible ne permet de l'affirmer. Si de tels contacts ont eu lieu, ils n'ont laissé aucune trace en Amérique du Sud ni dans les îles polynésiennes.
La patate douce, un peu comme la noix de coco, résiste assez bien à l'eau de mer et elle peut voyager, portée par les courants, sur de très longues distances... On sait ainsi qu'elle est arrivée sur les îles Marquises avant de débarquer sur l'île de Pâques (bien que les Marquises sont plus éloignées du continent américain !)... ce n'est donc pas la preuve d'un hypothétique contact sud-américain.
Ar Soner a écrit:
Je ne sais pas où vous avez lu cela, mais c'est une idée reçue : Cook et ses lieutenants notèrent, à l'époque, des mots pascuans, totalement intraduisibles dans le polynésien d'aujourd'hui ! D'ailleurs l'accompagnateur tahitien de Cook qui s'appelait Otiti (Oedidee en anglais) avoua au grand explorateur britannique qu'il avait énormément de mal à comprendre la langue des pascuans. Certains mots (17, au total) purent être compris : ce qui parait tout de même assez léger... Seulement ce sont ces dix-sept mots qui furent retenus par les linguistes ! C'est comme si pour le français on retenait les mots : "abricot, alcool, bougie, caramel, échec, éponge, guitare, jasmin, jupe, matelas, matraque, orange, récif, taboulé, tasse talisman et zéro", pour en conclure que les français sont d'origine arabe !!
Autant pour moi, ma mémoire me jouait des tours. J'ai vérifié et effectivement l'accompagnateur polynésien de Cook ne fut pas capable de converser avec les rapa-nui ; il arriva tout au plus à "communiquer" et à se faire comprendre.
Dans tous les cas, la forte relation du langage pascuan avec les autres langues polynésiennes n'est plus à démontrer. Il se rapproche du parlé des Marquises du point de vue "morphologique" (structure des phrases), mais comme le maori, il semble avoir gardé de très nombreux traits issus du polynésien ancien.
la chambre bleue a écrit:
Le problème du déboisement de l'île de Paques concerne surtout les fameux palmier du chili (Jubaea chilensis) qui, à priori avait disparu à l'arrivée de Cook... Le Toromiro (Sophora toromiro) que j'ai eu l'honneur de voir (mais pas de photographier, hélas) n' a disparu que beaucoup plus tard, puisque Foster, l'assistant de Cook en ramena une pousse en Europe et que (anecdote connue) son commandant avait pris pour une sorte de mimosa (d'autres disent qu'il l'avait confondu avec un Silver wattle, pourtant nettement plus grand ).
Le sophora toromiro a disparu de l'île de Pâques durant le début du XXième siècle (il n'en restait plus qu'un seul exemplaire sauvage dans les années 50) ; il n'en restait déjà plus beaucoup et seulement sur les hauteurs de l'île quand les explorateurs européens l'ont abordé. Ceux que l'on peut voir aujourd'hui sur l'île de Pâques (il doit y en avoir une petite centaine de pieds) sont issus d'un programme de réintroduction mené par différentes universités chiliennes.
la chambre bleue a écrit:
Je pense qu'il y a eu plusieurs sortes de Rongorongo et que leurs usages ont évolué avec le temps, mais le nombre qui nous est parvenu aujourd'hui est, en effet, trop limité... Le frêre Eyraud en élimina pas mal, et peut-être même de très ancien... dommage !!
C'est dur à dire. Il est certain qu'il y avait plus de rongo-rongo autrefois, mais il n'y en a probablement jamais eu
beaucoup -parce que les rongo-rongo étaient réservés à une élite intellectuelle.
la chambre bleue a écrit:
C'est bien sur une erreur fondamentale (comme l'a fait EDF qui ferait mieux de se poser des question sur son propre fonctionnement) que de croire que les habitants ont surexploités et appauvri leur île : encore aujourd'hui, tout indique encore que les pascuans (ou rapa-nuis en Polynésien) sont tellement fier de leurs petits coins, qu'ils s'interdisent toute construction de plus d'un étage, tout casino, golf et tout espèce de "trucs" à l'occidentale qui finirai"nt par défigurer leur île complètement : le tourisme y est contingenté ( 50 à 65.000 personnes par an), et c'est tant mieux !
Heureusement, qu'ils contingentent le tourisme ! Vu la petite taille de leur île et sa pauvreté actuelle en ressources naturelles, ils ne pourraient pas faire face à un afflux massif de curieux...
... Ça montre qu'ils ont au moins tiré une leçon de leurs erreurs.
Parce que les anciens rapa-nuis sont bel et bien responsables de la dégradation écologique de leur île, c'est un fait attesté par des preuves archéologiques. Les relevés de pollen dans les sédiments, les reliquats végétaux (troncs, noix, racines), les analyses pédologiques... indiquent que l'île de Pâques était entièrement recouverte de forêt lorsque les premiers pascuans y ont débarqué.
A l'arrivée des Européens, l'île avait été presque complètement déboisée et certaines espèces (telles que le palmier du Chili
Jubaea chilensis ou une autre sorte de palmier, le
Paschallococos disperta) en avaient disparu. La seule trace qu'il en restait était les objets en bois qu'utilisaient les rapa-nuis.
L'expansion des peuplades polynésiennes au détriment des ressources naturelles n'est pas quelque chose de nouveau. On peut citer notamment le cas de l'île Henderson, ou celui de la Nouvelle-Zélande (les maori ayant entraîné la disparition de certaines espèces d'oiseaux locales telles que le moa ou l'aigle de Haast).
Des modèles mathématiques ont montré que la population de l'île devrait s'élever à environ 2000 personnes, pour pouvoir vivre en autosuffisance et sans sur-exploitation de ressources.
Or, l'île de Pâques comptait vraisemblablement à son apogée (XVIème siècle) une population d'un peu plus de 10 000 personnes, ce qui est beaucoup trop. Celle-ci se nourrissait grâce à une agriculture très productiviste, qui a probablement encouragé la déforestation pour la création de terres agricoles -en plus de l'utilisation du bois pour la vie quotidienne et l'érection des moai.
Deux siècles plus tard, à l'arrivée de Roggeveen, il n'y avait plus que 2000 ou 3000 personnes sur l'île. Les rapa-nuis avaient traversé un certain nombre de crises, probablement liés à la conjonction de l'appauvrissement des ressources naturelles + un autre élément encore non identifié (cyclone ? sécheresse prolongée ?).
Les luttes entre clans, la pauvreté avaient fait de nombreux morts et ramenés la population à une échelle plus "raisonnable" (certains rapa-nuis ont même parlé d'actes de cannibalisme durant cette période de troubles).
Des bouleversement culturels étaient apparus : on n'érigeait plus de moai depuis au moins une centaine d'année (sur les 900 moaï de l'île, près de 400 sont restés inachevés dans leur carrière), et un nouveau culte, celui de "l'homme oiseau" était apparu. Les sols de l'île gardaient une partie de leur fertilité originelle, même si celle-ci avait pris un grand-coup suite à l'érosion consécutive à la déforestation -et l'élevage de moutons viendra définitivement détruire les sols de l'île au XIXème siècle.