Il est trop tard pour le voir car le flash lumineux n'a duré que quelques minutes. Mais Swift et d'autres télescopes, eux, l'ont vu et photographié. Pourtant, le rayonnement de ce sursaut gamma a parcouru 7,5 milliards d'années-lumière avant de briller dans le ciel de la Terre. L'énergie libérée est fantastique : pendant son éclat, GRB 080319B était 2,5 millions de fois plus lumineux que la plus brillante des supernovae...
Depuis le lancement du satellite Swift en 2004, c'est un piège à sursauts gamma qui a été mis en place par les astronomes du monde entier et qui vient de saisir la plus forte explosion jamais enregistrée. Ces événements extrêmement énergétiques, GRB pour Gamma Ray Burst en anglais, se traduisent par une émission de rayons X et gamma durant un bref instant, de quelques minutes au maximum. On les explique aujourd'hui par la fin dramatique d'une étoile. Il pourrait s'agir soit d'un astre de grande taille (d'au moins trente fois la masse du Soleil) qui explose puis s'effondre sur lui-même, soit du choc de deux astres compacts, naines blanches ou étoiles à neutrons. Si l'énergie est suffisante, il y a déclenchement d'un sursaut gamma.
Depuis longtemps, les astronomes cherchent à braquer leurs télescopes dans la direction d'un tel sursaut pour observer l'astre qui en est à l'origine dans le domaine du visible ou de l'ultraviolet. C'est ce que l'on appelle la contrepartie optique. L'exercice est difficile car le sursaut est très court et les instruments sensibles aux rayons X et gamma ne fournissent la direction du signal qu'avec une précision faible.
Le satellite Swift et la mobilisation générale des meilleurs télescopes de la planète ont changé la donne. Le piège fonctionne ainsi : Swift détecte un sursaut, le localise, transmet les coordonnées aux instruments terrestres et spatiaux impliqués dans ce réseau mondial, tous pointent le plus rapidement possible la région du ciel désignée par Swift et enclenchent leurs caméras. Après la détection du premier sursaut en mai 2005, ce détecteur planétaire a fonctionné à de nombreuses reprises.
Ce 19 mars 2008, l'alerte a même sonné quatre fois...
« Le décès de Arthur C. Clarke semble avoir enflammé l'univers de sursauts gamma » commente Judith Racusin, en hommage au grand homme disparu ce jour-là. Les sursauts étant baptisés avec la date du jour, le premier est GRB 080319A et le second GRB 080319B. Celui-là a battu tous les records et restera sans doute longtemps dans l'histoire de l'astronomie.
Une puissance exceptionnelle qui reste à expliquerAprès l'alerte, plusieurs instruments terrestres ont pointé cet objet, dont le VLT (Very Large Telescope), au Chili. Swift lui-même actionnait ses détecteurs à rayons X et ultraviolets. Une équipe polonaise (Pi of the sky) a même pu filmer l'événement. La contrepartie visible a atteint une magnitude de 5 à 6. C'est la limite d'une luminosité repérable à l'œil nu. Si quelqu'un, ayant au-dessus de lui un ciel dégagé et de bonne qualité (un citadin n'avait aucune chance), a levé les yeux à cet instant vers la constellation du Bouvier, il a pu voir un minuscule flash. Mais quatre minutes plus tard, comme l'a mesuré le groupe polonais Pi of the sky, la luminosité chutait brutalement, la magnitude descendant à 11 (la magnitude indique l'inverse de la luminosité).
Durant ces quelques minutes, la luminosité était 2,5 millions fois plus élevée que la plus lumineuse des surpernovae observée à ce jour. Pourtant, les instruments au sol, dont le VLT, indiquaient un décalage vers le rouge de 0,94, ce qui correspond à une distance de 7,5 milliards d'années-lumière, soit la moitié du rayon de l'univers observable ! L'énergie libérée par l'astre à l'origine de cette explosion a donc dû être énorme. De très loin, durant ces quelques minutes d'éclat, GRB 080319B fut le plus lointain des astres visibles à l'œil nu. A titre de comparaison, l'objet le plus lointain que nos yeux peuvent voir est la galaxie du Triangle (M33), de magnitude 5,7 et située à 2,9 millions d'années-lumière.
Il reste maintenant aux astronomes à expliquer l'exceptionnelle puissance de cette émission. Il est possible, par exemple, que la Terre ait été située, par hasard, précisément au centre du faisceau de rayonnements émis par l'astre qui a explosé. Nul doute que de nombreux astrophysiciens sont actuellement en train d'éplucher les données de tous les instruments qui ont saisi GRB 080319B durant ses quatre minutes de célébrité...
Les images de GRB 080319B obtenues par Swift, en rayonnement X, à gauche, et en ultraviolet, à droite. © Nasa/Swift/Stefan Immler, et al.
Dommage, j'aurais vraiment aimé voir ça de mes yeux.